Adrien Macaire Lemdja analyse la présence de Paul Biya sur les réseaux sociaux et la Communication stratégique qui présage d’un début de campagne présidentielle. Paul Biya et le Rdpc peuvent -ils conserver le pouvoir……….. Le Rdpc peut-il perdre le pouvoir… que va faire le peuple camerounais.
1. Une rupture avec l’habitude présidentielle.
Depuis plusieurs jours, un phénomène inattendu agite la sphère politique camerounaise : le Président Paul Biya, 92 ans, habituellement peu enclin à la communication directe – encore moins numérique – enchaîne les messages sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook et Twitter/X.
L’initiative surprend d’autant plus qu’elle tranche radicalement avec son style de gouvernance distant, reposant historiquement sur le silence, la rareté des apparitions publiques et une verticalité assumée du pouvoir.
« L’unité est notre force. Ne cédons pas aux sirènes de la division », peut-on lire dans l’une de ses publications, datée du 1er avril, diffusée sur les canaux officiels et massivement relayée par les comptes affiliés au RDPC (Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais).
Cette soudaine intensité numérique semble moins relever d’un revirement personnel que d’un réalignement stratégique de son entourage politique, soucieux de poser les jalons d’une nouvelle légitimation.
2. Une série de messages codés : paix, unité et continuité.
Les publications du président Paul Biya, diffusées depuis une semaine sur ses canaux numériques officiels, n’ont rien d’anodines.
Derrière leur apparente simplicité, elles obéissent à une logique de codification politique, où chaque mot, chaque thème, chaque silence porte un sens profond. Trois axes dominent : la paix, l’unité nationale et la continuité de l’action présidentielle.
La paix : un capital politique à sanctuariser.
Dans plusieurs de ses publications récentes, le président met en avant la paix comme héritage collectif et comme fruit de son leadership personnel.
Dans un post daté du 2 avril 2025, il déclare :
« Le Cameroun est resté debout grâce à la paix. Protégeons-la ensemble, car elle est notre bien le plus précieux. »
Ce discours mobilise une rhétorique mémorielle : il s’agit de rappeler que malgré les tensions, le pays n’a pas sombré dans la guerre civile généralisée.
Biya se positionne implicitement comme le garant de la stabilité, face à des menaces internes (séparatismes, terrorisme, frustrations sociales) et externes (pressions migratoires, influences étrangères).
Ce message vise en priorité :
• Les populations rurales ou âgées, souvent sensibles à l’argument de la stabilité.
• Les fonctionnaires et cadres intermédiaires, qui associent paix et préservation des postes.
L’unité nationale : un rempart contre « la division ».
Le mot « unité » est répété dans presque toutes les publications. On y lit des appels à « rejeter les discours de haine », à « bâtir ensemble un Cameroun indivisible », ou encore à « ne pas succomber aux sirènes de la division et du tribalisme ».
Ce message, bien que louable en surface, camoufle aussi une manœuvre défensive : toute critique du pouvoir peut être assimilée à une tentative de fragmentation, créant un climat
où l’opposition est perçue comme dangereuse.
Le thème de l’unité nationale est un classique de la propagande d’État, mais ici, il est réactivé dans un contexte où le tissu social est abîmé :
• La crise anglophone continue de fragiliser la cohésion nationale.
• Les tensions interethniques et régionales sont exacerbées par les inégalités économiques et l’instrumentalisation politique.
Cette insistance sur l’unité vise à réunifier le narratif national autour d’une figure tutélaire : Biya se présente non comme un acteur politique, mais comme un pilier symbolique de la République.
La continuité : une candidature sans l’annoncer.
Le troisième pilier de cette séquence communicationnelle est l’idée de continuité.
Bien qu’aucune annonce officielle de candidature n’ait été faite, les messages renvoient tous à la longévité de l’action présidentielle, à sa constance, et à la nécessité de « ne pas changer de cap ».
« Ce que nous avons bâti ensemble mérite d’être consolidé.
L’avenir du Cameroun dépend de notre constance », écrit-il dans un post du 3 avril.
Ces termes agissent comme des signaux faibles de reconduction. Ils entretiennent le flou stratégique : ni déclaration, ni retrait, mais une présence symbolique qui rassure ses partisans tout en décourageant ses concurrents. Le message sous-jacent pourrait se résumer ainsi :
Le Cameroun n’est pas prêt pour une rupture. La transition ne peut se faire que sous contrôle.
Ce narratif sert plusieurs cibles :
• Les élites du système, qui redoutent une alternance brutale.
• Les pays partenaires, notamment la France et la Chine, soucieux de stabilité régionale.
• Les cadres du RDPC, en attente d’un signal de reconduction.
Dans cette série de messages, le Président se réapproprie des valeurs universelles pour en faire des instruments de légitimation personnelle :
• Paix = le fruit de son action.
• Unité = ce qu’il protège contre des forces anonymes ou extérieures.
• Continuité = l’unique voie possible face à l’incertitude.
Il ne s’agit donc pas de simples messages d’État, mais d’une pré-campagne narrative, où les symboles jouent un rôle plus fort que les programmes. En choisissant les réseaux sociaux, Paul Biya ne s’adresse pas seulement à ses fidèles, mais cherche aussi à marquer l’espace public avant que d’autres voix ne s’imposent.
Le ton, solennel, joue sur une corde affective et patriotique, dans un style presque testamentaire, mais sans évoquer de succession.
Les références aux conflits internes (crise anglophone, insécurité dans l’Extrême-Nord, tensions sociales) sont implicites, évitant les polémiques tout en appelant au ralliement.
3. Le contexte politique : entre continuité statutaire et incertitude électorale.
L’activisme récent du président Paul Biya sur les réseaux sociaux ne peut être pleinement compris sans l’inscrire dans un contexte politique verrouillé mais paradoxalement incertain.
D’un côté, tout semble militer pour une continuité statutairement inscrite ; de l’autre, l’usure du pouvoir, les tensions sociales, et l’attente confuse autour de sa succession font planer un climat d’incertitude réelle à l’approche de la présidentielle.
Le RDPC et la « candidature naturelle » : entre formalité et fatalisme.
Au sein du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), le parti-État au pouvoir depuis 1985, les statuts sont explicites : le Président national du parti est le candidat naturel à l’élection présidentielle. Or, ce poste est occupé sans discontinuité depuis près de 40 ans par Paul Biya.
Ce principe, présenté comme une formalité de loyauté politique, est utilisé pour :
• éviter les débats internes sur la succession ;
• consolider le pouvoir autour d’un seul homme ;
• dissuader les ambitions concurrentes, qu’elles soient internes ou extérieures.
Mais derrière cette apparente évidence se cache un silence lourd.
Paul Biya n’a toujours pas annoncé officiellement sa candidature à l’élection d’octobre 2025. Ce silence stratégique, habituel dans son style de gouvernance, maintient un flou tactique utile :
• Il permet de tester l’adhésion populaire avant de se lancer.
• Il gèle les candidatures alternatives dans son propre camp.
• Il évite une surexposition médiatique précoce qui pourrait raviver les critiques.
Un calendrier électoral balisé mais sous tension.
La présidentielle camerounaise de 2025 est attendue autour d’octobre, mais aucun calendrier précis n’a encore été publié par ELECAM (Élections Cameroun).
Cette absence de lisibilité entretient le flou, mais elle est stratégique : le pouvoir reste maître du tempo, ce qui empêche l’opposition de se structurer efficacement.
À cela s’ajoute une série de facteurs aggravants :
• Le système électoral reste décrié comme déséquilibré (fichier électoral contesté, monopole de fait du RDPC sur les institutions).
• Les conditions de candidature, bien que constitutionnelles, sont parfois interprétées de manière politique.
• L’opposition peine à s’unir, malgré l’échec retentissant du boycott de 2018 et les appels à une plateforme commune.
Un pouvoir fort mais fragilisé.
Malgré le contrôle quasi total de l’État et des institutions par le RDPC, le régime montre des signes de fatigue structurelle :
• Le pays est confronté à deux crises majeures non résolues :
o La crise anglophone, qui perdure depuis 2016 et mine la cohésion nationale ;
o L’insécurité dans l’Extrême-Nord, où Boko Haram/ISWAP reste une menace diffuse.
• La situation économique reste fragile, marquée par :
o un fort taux de chômage des jeunes ;
o une inflation croissante ;
o une dépendance à l’endettement extérieur.
• La jeunesse urbaine, diplômée mais marginalisée, forme un électorat critique, connecté, souvent opposé aux logiques du régime.
Ces fragilités font du contexte actuel une zone grise politique : le pouvoir reste concentré, mais la légitimité populaire est vacillante.
D’où la nécessité, pour le président et son entourage, de reprendre la main sur le narratif national par des gestes symboliques, comme les récentes sorties numériques.
Une succession verrouillée ou inexistante.
Un facteur d’incertitude majeur réside dans l’absence de dauphin désigné. Paul Biya, tout en vieillissant, n’a jamais préparé publiquement sa relève, ni dans le parti, ni dans l’État. Trois hypothèses circulent régulièrement dans les cercles politiques :
1. Une succession par surprise, tardive et contrôlée par le cercle rapproché.
2. Une transition dynastique, avec des spéculations persistantes autour de son fils, Franck Biya — jusqu’ici discret mais visible dans certains cercles d’influence.
3. Un statu quo prolongé, avec maintien du président au pouvoir malgré l’âge avancé, sous prétexte de stabilité.
Dans tous les cas, l’incertitude est volontairement entretenue, servant de levier de contrôle politique à l’intérieur comme à l’extérieur.
Pressions internationales modérées mais observatrices.
Sur le plan extérieur, les partenaires du Cameroun – notamment la France, l’Union africaine, les États-Unis et la Chine – suivent la situation avec prudence. Aucun acteur majeur n’a à ce stade exprimé d’attente explicite de changement politique, ce qui laisse une marge de manœuvre importante au régime.
Cette inertie diplomatique renforce la perception que le statu quo politique est toléré tant qu’il garantit la stabilité régionale.
En résumé
Le contexte politique camerounais en 2025 est donc à la fois verrouillé et vulnérable : verrouillé par la force d’un régime hyper-centralisé ; vulnérable par les failles sociales, sécuritaires et générationnelles qui fragilisent sa légitimité.
L’hyper-présidentialisme de Paul Biya fait que toute la vie politique du pays repose sur une seule incertitude : se représentera-t-il ou non ? C’est cette tension permanente que ses récents messages tentent de canaliser – sans y répondre explicitement.
De nombreux cadres du parti, maires et députés, ont déjà lancé des mouvements de soutien à une nouvelle candidature, évoquant un « appel du peuple » à poursuivre l’œuvre commencée en 1982.
Ce climat fait de silence présidentiel apparent mais d’agitation partisane organisée installe une ambivalence typique des régimes dominés par une figure unique.
4. Objectifs possibles : pré-campagne masquée ou tentative de reconquête ?
L’activisme soudain du président Paul Biya sur les réseaux sociaux, après des décennies de communication rare et verticale, n’a rien d’un simple aggiornamento technologique.
Elle répond à des objectifs politiques précis, calibrés en fonction du calendrier électoral, du contexte socio-politique et des équilibres internes du régime.
Ce qu’on peut interpréter comme une campagne de communication symbolique peut en réalité être lu comme une pré-campagne présidentielle dissimulée, ou, plus encore, comme une stratégie de reconquête d’une opinion publique en perte de confiance.
1. Amorcer une pré-campagne sans en porter le nom.
Dans les régimes à faible compétition électorale réelle, les campagnes présidentielles ne commencent jamais officiellement, mais s’ouvrent par une séquence de signaux faibles. C’est exactement ce que l’on observe actuellement au Cameroun.
Indices d’une pré-campagne :
• Multiplication des messages présidentiels autour de thèmes électoralement porteurs (paix, unité, stabilité) ;
• Mobilisation orchestrée des cadres du RDPC, relayant les publications du chef de l’État avec des hashtags comme #AvecPaulBiya2025 ou #CapSurLaStabilité ;
• Silence stratégique sur la candidature, laissant ses proches « l’appeler à se représenter » sans prise de position officielle.
Ce procédé rappelle les stratégies de présidents comme Alassane Ouattara en 2020 ou Denis Sassou Nguesso, qui ont utilisé l’ambiguïté jusqu’au dernier moment pour maîtriser l’agenda politique.
L’objectif est double :
• Éviter l’usure médiatique d’une longue campagne ;
• Conserver l’initiative narrative, en forçant l’opposition à réagir sans savoir à quoi.
2. Réinvestir l’espace symbolique et reprendre la main sur le récit national.
L’activisme numérique vise aussi à reprendre le contrôle du récit national, longtemps monopolisé par les voix critiques, notamment celles de la diaspora, des influenceurs politiques ou des médias internationaux.
En s’exprimant directement sur des plateformes accessibles au grand public (Facebook, X/Twitter), le président tente de court-circuiter les canaux traditionnels de contestation.
Objectifs symboliques :
• Réaffirmer sa centralité dans le destin du Cameroun ;
• Réactiver les valeurs historiques du régime (paix, unité, continuité) comme valeurs refuge face à l’incertitude ;
• Réduire la place laissée au doute, à l’usure ou à la contestation.
Cette stratégie repose sur un principe fondamental de communication politique : occuper l’espace public pour éviter qu’il ne se retourne contre soi.
3. Toucher les franges critiques : jeunesse, diaspora, classes moyennes urbaines.
En choisissant les réseaux sociaux comme vecteurs principaux, l’équipe présidentielle vise clairement des segments de population qui échappent à la propagande classique :
• La jeunesse urbaine, hyper-connectée mais désabusée ;
• Les étudiants, souvent critiques mais non encore totalement mobilisés politiquement ;
• La diaspora, qui influence fortement les débats internes via les plateformes numériques.
Exemple :
Dans une publication adressée « à la jeunesse du Cameroun », Paul Biya écrit :
« C’est à vous, jeunes Camerounais, que revient la responsabilité de préserver les acquis de notre nation. Votre avenir commence aujourd’hui. »
Cette tentative de réengagement générationnel peut être vue comme une stratégie d’enrôlement symbolique, visant à neutraliser les critiques sans proposer de réponses concrètes aux problèmes de chômage, d’éducation ou de mobilité sociale.
4. Consolider sa base partisane et rassurer les élites.
Le moment choisi pour cette offensive de communication n’est pas neutre : à l’intérieur du RDPC, les élites politiques, économiques et sécuritaires s’interrogent discrètement sur l’avenir du régime.
Objectifs internes :
• Envoyer un signal de continuité : « le président est toujours aux commandes » ;
• Éviter la fragmentation du parti, en retardant tout débat sur la succession ;
• Rassurer les partenaires extérieurs et investisseurs, souvent inquiets d’un vide de pouvoir.
La communication actuelle sert donc aussi à stabiliser la pyramide interne du pouvoir, dans une logique de contrôle plus que d’ouverture.
5. Gagner du temps, tester les réactions, ajuster la stratégie.
Enfin, cette phase de communication intense permet au régime de :
• Observer la réception sociale et politique des messages ;
• Tester les lignes de fracture ou d’adhésion dans l’opinion ;
• Ajuster le narratif selon les retours, en maintenant une flexibilité tactique.
Ce marketing politique de la prudence est typique des régimes qui gouvernent par anticipation et intuition plus que par confrontation démocratique.
En résumé : une communication de transition et de contrôle.
Les récents messages présidentiels ne sont pas simplement des rappels d’unité ou d’appel à la paix. Ils constituent une séquence stratégique à part entière, destinée à :
• Préparer le terrain d’une candidature probable ;
• Neutraliser les critiques émergentes ;
• Remobiliser les fidèles sans dévoiler ses cartes trop tôt.
On assiste ainsi à une politique de la présence symbolique : Paul Biya ne s’exprime pas pour convaincre, mais pour se réinscrire dans l’actualité et reconfigurer le jeu politique autour de lui.
5. Réception et efficacité : entre rejet, ironie et calcul.
Les récentes publications du président Paul Biya sur les réseaux sociaux ont provoqué une vague de réactions contrastées, révélatrices d’une fracture de perception profonde entre la communication présidentielle et la réalité vécue par une large partie de la population camerounaise.
Si certains segments restent réceptifs au message d’unité et de stabilité, notamment les soutiens traditionnels du RDPC, une partie significative de l’électorat – notamment les jeunes, les urbains et la diaspora – y voit un exercice creux, déconnecté, voire cynique.
Ce décalage interroge directement l’efficacité réelle de cette stratégie de communication, et son impact sur les dynamiques électorales à venir.
1. Une réception tiède voire hostile sur les réseaux sociaux.
Les publications présidentielles, bien qu’élégamment rédigées et visuellement soignées, sont souvent accueillies avec scepticisme sur les principales plateformes :
Sur Facebook et Twitter/X :
• Les commentaires sont dominés par une ironie acide, parfois virulente :
« On parle d’unité pendant que les routes sont des pièges mortels ? » « Qu’il commence par unir les hôpitaux aux médicaments et les jeunes au travail »
• De nombreux internautes ont recyclé les messages présidentiels en mèmes, vidéos satiriques ou slogans détournés, preuve d’une appropriation critique de la parole présidentielle.
• Sur YouTube, les interviews de jeunes camerounais exprimant leur lassitude ou leur colère envers la longévité du pouvoir circulent largement.
Ce déficit de crédibilité numérique montre que la stratégie du discours ne suffit plus à réenchanter une opinion désillusionnée.
2. Un électorat jeune et critique, difficile à convaincre.
Le cœur du mécontentement se trouve chez les jeunes, qui représentent plus de 70 % de la population :
• Ils vivent une précarité systémique (chômage, sous-emploi, inflation, mobilité sociale bloquée).
• Ils perçoivent le régime comme un système fermé et inaccessible, où le mérite est moins récompensé que l’allégeance.
• Ils consomment l’information de manière fluide, rapide, critique, et échappent largement aux outils de communication classiques du pouvoir.
Les messages présidentiels, même adressés directement à la jeunesse, apparaissent donc comme hors sol, incapables de créer une connexion émotionnelle ou une projection crédible dans l’avenir.
« On nous parle d’héritage national, mais c’est la galère qu’on hérite », écrit un étudiant sur Twitter.
3. Une efficacité réelle dans les cercles fidèles.
À l’inverse, les soutiens traditionnels du RDPC, les élites administratives, les populations rurales et les fonctions sécuritaires continuent de relayer et de valoriser le message :
• Les responsables du parti partagent systématiquement les publications, y ajoutant des appels au rassemblement.
• Les médias publics reprennent en boucle les extraits les plus rassembleurs.
• Dans certaines régions, les propos présidentiels sont repris dans les discours de sous-préfets,
maires ou autorités coutumières.
Ici, l’objectif n’est pas de convaincre, mais de mobiliser et réassurer. Pour ces cibles, la symbolique présidentielle reste intacte, et le discours de paix ou de stabilité continue d’opérer.
4. Un calcul politique plus qu’un espoir de persuasion.
Face à cette réception polarisée, il serait erroné de penser que le régime croit sincèrement en la force de persuasion de ces messages. Il s’agit plutôt d’un calcul stratégique, fondé sur trois constats :
1. Le rejet d’une partie de la jeunesse est acté, mais peu structuré politiquement.
2. L’opposition est morcelée, sans figure unique, sans stratégie claire, et souvent piégée par le terrain institutionnel contrôlé.
3. L’enjeu électoral repose moins sur l’adhésion que sur le contrôle : participation ciblée, clientélisme local, usage des appareils de l’État.
Autrement dit, la communication présidentielle ne vise pas tant à gagner l’opinion qu’à baliser l’espace public, neutraliser la contestation symbolique, et renforcer l’impression d’omniprésence.
5. Les limites de la stratégie : trop de symbole, pas assez de substance.
En définitive, cette stratégie a ses limites structurelles :
• Elle est fondée sur une communication verticale dans un monde horizontal ;
• Elle propose des symboles à une génération qui attend des solutions concrètes ;
• Elle active une mémoire du passé là où l’opinion réclame un projet d’avenir.
Aussi efficace soit-elle à court terme pour préparer l’annonce d’une candidature ou contenir l’agitation politique, cette stratégie ne règle pas le fond du problème : la fracture de confiance entre le pouvoir et une partie significative de la société camerounaise.
6. Vers une candidature Biya ? Scénarios et conséquences.
La répétition des messages, leur ton solennel, la mobilisation du parti et l’absence de dauphin politique désigné convergent vers un scénario de reconduction implicite.
Sauf événement médical ou revirement surprise, tout indique que Paul Biya se dirige vers une nouvelle candidature en 2025, fidèle à la stratégie du silence suivi de l’acceptation « sous pression populaire ».
À sept mois de l’élection présidentielle d’octobre 2025, la question de la candidature de Paul Biya reste officiellement sans réponse. Pourtant, tout dans l’environnement politique, symbolique et partisan semble converger vers une nouvelle reconduction, fidèle à la logique éprouvée du chef de l’État : garder le silence jusqu’au dernier moment, tout en laissant son parti et ses réseaux baliser le terrain.
Cette ambiguïté stratégique nourrit trois hypothèses majeures, chacune porteuse de risques, de tensions ou de stabilités différentes selon les acteurs concernés.
Scénario 1 : Une nouvelle candidature en 2025 (le scénario de continuité contrôlée).
Ce scénario est aujourd’hui le plus plausible, tant les mécanismes du pouvoir semblent verrouillés autour de cette option.
Les signaux qui pointent vers cette issue :
• Les statuts du RDPC désignent Paul Biya comme candidat naturel ;
• Les sorties sur les réseaux sociaux visent à préparer symboliquement l’opinion ;
• Les appels à sa candidature se multiplient au sein du parti, des collectivités locales, de l’administration ;
• Aucune figure de succession n’est préparée ou mise en avant dans les structures politiques ou militaires.
Conséquences :
• Stabilité apparente du système institutionnel à court terme, notamment dans les sphères diplomatiques et militaires.
• Mobilisation des ressources de l’État pour organiser la campagne et garantir une victoire maîtrisée.
• Crise de confiance accentuée dans l’électorat jeune et dans les zones anglophones.
• Risque d’abstention massive dans les centres urbains ou de désaffection croissante dans la diaspora.
Risque principal : une érosion de la légitimité populaire malgré une victoire électorale annoncée.
Scénario 2 : Retrait volontaire ou « surprise » de Paul Biya (scénario de transition politique contrôlée).
Ce scénario, bien que plus incertain, ne peut être écarté, notamment si l’état de santé du président se dégrade ou si des pressions internes rendent sa candidature politiquement trop risquée.
Conditions probables d’un retrait :
• Une volonté personnelle de sortir par le haut après plus de 43 ans au pouvoir.
• Une pression discrète de partenaires extérieurs, notamment sur la nécessité d’une alternance encadrée.
• L’émergence d’un successeur désigné, issu du premier cercle
Conséquences :
• Période de transition tendue, nécessitant une recomposition urgente du paysage politique ;
• Possible implosion du RDPC, si la succession n’est pas perçue comme légitime ou unifiée ;
• Fenêtre d’opportunité pour l’opposition, si elle sait capitaliser sur la surprise pour proposer une alternative crédible.
Risque principal : une compétition féroce entre clans du pouvoir pour le contrôle de la succession, avec instabilité potentielle.
Scénario 3 : Succession dynastique ou mise en orbite de Franck Biya (scénario néo-monarchique).
Depuis plusieurs années, la figure de Franck Emmanuel Biya, fils du président, est l’objet de spéculations persistantes, alimentées par ses apparitions dans certains cercles de pouvoir, sa discrétion calculée et la création du mouvement de soutien « Les Franckistes ».
Indicateurs en faveur de ce scénario :
• Aucune déclaration publique, mais des signes de montée en visibilité dans les cercles économiques et diplomatiques.
• Volonté du régime de maîtriser la transition sans rupture.
• Présence de réseaux transversaux (affaires, renseignement, influence) prêts à accompagner un passage de relais.
Conséquences :
• Fort rejet populaire, notamment auprès de la jeunesse, qui y verrait une confiscation dynastique du pouvoir.
• Possibilité d’un boycott ou de mouvements de contestation organisés, surtout dans les zones anglophones et au sein de la diaspora.
• Maintien du régime sans réformes de fond, avec une façade de renouvellement.
Risque principal : un rejet massif d’une « alternance familiale », jugée illégitime et anachronique.
Hypothèse transversale : l’effet de surprise comme méthode de gouvernement.
Quel que soit le scénario retenu, le facteur commun demeure le flou stratégique, instrumentalisé à dessein. Depuis les années 1990, Paul Biya gouverne en maintenant une opacité maîtrisée, qui empêche ses adversaires de structurer une contre-offensive.
En 2004, 2011 et 2018, sa déclaration de candidature est toujours intervenue tardivement, empêchant les coalitions de s’organiser. Il est probable qu’en 2025, la même logique soit reproduite.
Répercussions régionales et internationales.
La décision finale de Paul Biya aura aussi un écho au-delà des frontières :
• Les partenaires étrangers (France, Chine, Union européenne, États-Unis) privilégient la stabilité à court terme, même au prix d’un déficit démocratique.
• La CEEAC et l’UA, souvent silencieuses face aux enjeux de succession en Afrique centrale, pourraient néanmoins être interpellées en cas de tensions internes.
La position du Cameroun comme pivot géopolitique en Afrique centrale (notamment face au Tchad, au Nigeria et à la Centrafrique) donne à cette élection une dimension stratégique régionale.
En résumé.
Scénario Probabilité actuelle Conséquences principales Risque dominant
Nouvelle candidature de Biya Élevée Stabilité institutionnelle mais rejet populaire croissant Délégitimation interne
Retrait surprise Moyenne Recomposition politique rapide, incertitude sur l’après-Biya Conflits internes
Succession dynastique Faible à moyenne Maintien du régime, rejet générationnel massif Contestation ouverte
En conclusion : une stratégie qui en dit long… sans tout dire.
La récente effervescence numérique autour de Paul Biya, homme d’État peu porté sur la modernité communicationnelle, est tout sauf anodine.
Derrière les appels solennels à l’unité nationale, à la paix et à la cohésion, se dessine une stratégie politique subtile mais résolument assumée : celle de l’occupation symbolique de l’espace public, sans annonce formelle, sans engagement explicite, mais avec des signaux suffisamment puissants pour construire un récit présidentiel cohérent à l’approche de l’élection de 2025.
Une stratégie du « non-dit stratégique ».
Paul Biya s’inscrit ici dans une tradition de gouvernement par l’ambiguïté, qui a fait sa force pendant plus de quatre décennies :
• Il ne dit pas clairement s’il est candidat, mais laisse tout indiquer qu’il le sera.
• Il ne répond pas directement aux critiques, mais occupe l’espace médiatique avec des messages consensuels et fédérateurs.
• Il ne nomme pas ses adversaires, mais les neutralise symboliquement par un récit d’unité et de légitimité historique.
Cette méthode n’a rien d’improvisé : elle permet d’éviter les confrontations frontales, de figer le jeu politique et de retarder la cristallisation des oppositions.
Une communication à double temporalité.
L’efficacité de cette stratégie repose sur une double temporalité bien maîtrisée :
1. À court terme, elle occupe le terrain, donne l’illusion d’une présence présidentielle active et relance une dynamique autour du chef.
2. À moyen terme, elle prépare la population – et surtout les élites – à l’idée d’un maintien au pouvoir, voire à une transition douce dans le cadre d’une succession maîtrisée.
Cette temporalité différée permet de construire un capital symbolique renouvelé, même sans actes politiques tangibles. En d’autres termes, le discours remplace l’action, et la mise en scène du président suffit – du moins pour l’instant – à maintenir l’illusion d’un cap.
Une stratégie lucide, mais à l’efficacité décroissante.
Cependant, cette stratégie, aussi sophistiquée soit-elle, rencontre aujourd’hui des limites sérieuses :
• L’écosystème numérique a changé. Les citoyens sont désormais des producteurs de contenu, critiques, parfois moqueurs, souvent engagés. La réception des messages n’est plus passive.
• Le poids du bilan présidentiel (économie, emploi, insécurité, crise anglophone, dégradation des services publics) pèse lourd sur la crédibilité de la parole officielle.
• La jeunesse, cible prioritaire de cette nouvelle communication, attend moins de symboles et plus de solutions concrètes. Or, aucun message récent n’a esquissé une vision programmatique claire pour 2025 et au-delà.
Ainsi, cette communication présidentielle parle fort, mais ne dit pas grand-chose de neuf. Elle confirme une volonté de contrôle, mais ne crée pas de véritable espoir ou d’adhésion.
Une manœuvre de consolidation, pas de transformation.
Plus qu’un tournant, cette séquence politique marque une tentative de consolidation du régime face à ses vulnérabilités internes :
• Consolider les rangs du RDPC en l’absence de débat sur la succession ;
• Consolider la légitimité présidentielle par le rappel des « grands récits » (paix, unité, stabilité) ;
• Consolider la perception d’un pouvoir encore présent, encore capable, encore maître du jeu.
Mais cette consolidation n’équivaut pas à une transformation du contrat politique entre le pouvoir et la population. Et c’est là que se situe la faille.
Un pouvoir qui parle à lui-même ?
En définitive, il faut poser la question fondamentale : à qui s’adresse vraiment cette communication ?
• Aux partenaires internationaux, pour montrer que le pouvoir est stable et encore aux commandes ?
Aux cadres du régime, pour les rassurer et les mobiliser avant une déclaration officielle ?
• Aux jeunes, pour tenter une reconquête symbolique ?
• Ou simplement à lui-même, dans une mise en scène de sa propre continuité ?
L’absence de réponses concrètes sur les problèmes structurants du Cameroun fait penser que ce discours présidentiel est d’abord un miroir tendu au pouvoir lui-même, plus qu’un dialogue sincère avec la société.
En synthèse
Élément Observation
Intentions Préparer une nouvelle candidature, tester la réaction, occuper l’espace public
Méthode Communication symbolique, sans annonce directe
Réception Critique, ironique ou distante dans les milieux jeunes ; mobilisatrice dans les cercles du pouvoir
Risque Disjonction entre discours officiel et attentes sociales réelles
Conséquence potentielle Renforcement du désintérêt politique, montée de la lassitude ou radicalisation de la contestation
@Adrien Macaire Lemdja