Ouattara, président pas encore réélu et déjà illégitime

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Deux jours après un scrutin présidentiel tendu et boycotté par l’opposition, dans l’attente des résultats, les deux camps se font face et se dénient toute légitimité à exercer le pouvoir. Décryptage d’une situation inflammable.
En 2010, à l’issue d’une élection, dont Laurent Gbagbo, alors président sortant et Alassane Ouattara, aujourd’hui dans cette même situation, revendiquaient chacun la victoire*. La « communauté internationale » choisit son camp : Ouattara, l’ex-haut cadre du FMI plutôt que Gbagbo, le pan-africaniste. Il s’en suivit quatre mois de guerre civile, marquée par plusieurs milliers de morts (3.000 officiellement), la chute et l’incarcération de Gbagbo à laquelle la France prêta son concours décisif.

Dix ans plus tard, dans l’attente des résultats du scrutin présidentiel du samedi 31 octobre, la Côte d’Ivoire se retrouve dans la même configuration périlleuse : deux blocs antagonistes, à priori irréconciliables et se contestant mutuellement toute légitimité à exercer le pouvoir. Rassemblés dans une plateforme commune, depuis août dernier, l’ensemble des partis d’opposition, dont le FPI de Laurent Gbagbo avaient appelé à la « désobéissance civile » et au boycott actif du scrutin, déniant au sortant le droit constitutionnel de briguer un troisième mandat. Dimanche, en fin d’après-midi, ses représentants estimaient avoir été entendus dans pratiquement toutes les régions, y compris dans plusieurs secteurs du nord du pays, l’ancienne zone « rebelle » supposément acquise à Ouattara. Avec, selon eux, moins de 10% de participation sur l’ensemble des 22.000 bureaux de vote, il n’y aurait tout simplement pas eu d’élection. Tout le contraire pour Adama Bictogo, le directeur exécutif du RHDP, le parti présidentiel, se félicitant de la « maturité, la sérénité et le civisme des Ivoiriens (qui) se sont déplacés massivement. »

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EPREUVE DE FORCE
En vérité, nombre des observateurs étrangers et locaux ayant été bloqués par des barrages sur les routes, les dires des uns et des autres sont difficilement vérifiables. Seule certitude, attestée par quelques reportages parcellaires à Abidjan, Yamoussoukro, la capitale, Bouaké et des municipalités de moindre importance : la grande foule n’était pas au rendez-vous et l’élection n’a probablement pas satisfait aux standards internationaux. Curieusement d’ailleurs, maniant soudainement un souverainisme africaniste qu’on ne lui connaissait guère, juste après avoir voté Alassane Ouattara s’en est pris aux journalistes qui l’interrogeaient sur ce dernier point : « Vous devez arrêter d’imposer les normes de l’ Occident aux Africains… »

Les premiers résultats provisoires sortis de la Commission électorale indépendante (CEI) apparaissent, il est vrai, plutôt hors normes : 57% de participation dans la région de Man, dans l’ouest du pays avec un quasi 100% des voix pour le président dans ce département comme à Mbengué tout au nord. Pour Sylvain N’Guessan, de l’Institut de stratégie d’Abidjan, il ne fait guère de doute qu’Alassane Ouattara sera proclamé réélu mais avec la plus mauvaise partition, celle d’un « président africain comme les autres qui s’accroche au pouvoir. » Le pourra-t-il seulement ? S’exprimant au nom de toute l’opposition, Pascal Affi N’Guessan, le candidat officiel du FPI et ancien Premier ministre de Gbagbo, a déjà annoncé que celle-ci ne reconnaissait pas son éventuelle victoire et préparait en conséquence une « transition civile. » Un défi à la loi et à la Constitution, a aussitôt tonné Adama Bictogo pour le compte du RHDP. L’épreuve de force semble donc engagée et, s’ils n’ont pas embrasé tout le territoire ivoirien, les affrontements ayant émaillé la journée de samedi, avec à la clé un nombre indéfini de morts tant manquent les sources indépendantes, font craindre le pire à la population.

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GBAGBO PRÉSIDENT DE LA “DISCUSSION”
Le scénario de l’engrenage fatal, à l’image de celui de la crise de 2010-2011, n’est pourtant pas écrit d’avance. Et d’abord parce que l’opposition sait ce qu’il en coûterait de lancer les foules dans la rue, pour autant d’ailleurs qu’elle soit en mesure de le faire. Rompant un long silence, lors d’une interview à TV5 réalisée à Bruxelles où il réside depuis son acquittement par la CPI, Laurent Gbagbo s’est posé en partisan de la « discussion » et de la « négociation » à tout prix. C’est le seul moyen, a-t-il martelé, d’éviter les crises successives ayant plongé le pays dans l’instabilité quasi permanente depuis le coup d’état du général Robert Guei en 1999.

L’ancien président en a profité pour faire taire les rumeurs qui le disaient surtout préoccupé de négocier son retour en Côte d’Ivoire avec des émissaires d’Alassane Ouatttara : en clair l’obtention de son passeport et la levée de toutes les charges pesant contre lui en échange de son retrait de la vie politique. Rien de tel apparemment : Laurent Gbagbo est bien « aux côtés de l’opposition » et ne pense pas que la solution de tous les problèmes réside dans l’effacement soudain des « vieux » (lui-même, son nouvel allié Henri Konan-Bédié du PDCI ou Ouattara) au profit d’une jeune génération, reproduisant en réalité les divisions sans fin des anciens. Message reçu cinq sur cinq sur place où les « Gbagbistes » n’ont toujours pas renoncé à le voir jouer un rôle de premier plan.

LIGNE DE CRÊTE

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Dans l’immédiat, l’opposition toujours unie avance sur une ligne de crête, espérant que la détermination qu’elle affiche poussera Ouattara au départ. Pour cela, elle mise aussi sur un début de division au sein du RHDP, où certains redoutent de tout perdre si la situation s’envenime trop gravement, aux possibles pressions diplomatiques des partenaires occidentaux (notamment la France et les Etats-Unis) ou africains. À cet égard, elle s’appuie ainsi sur l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, très actif depuis quelque temps, tant auprès de l’ Union africaine (UA) que de l’ ONU pour dénoncer l’imposture du troisième mandat présidentiel.

En fait, les tensions électorales touchent aujourd’hui toute la sous-région. Vaguement apaisées en Guinée, où l’opposition tente aujourd’hui sans trop d’illusion la voie du droit pour contester le troisième mandat d’Alpha Condé, elles risquent de concerner pareillement la présidentielle du 22 novembre au Burkina Faso, un des voisins de la Côte d’Ivoire. Le tout sur fond d’une progression de l’activité des groupes djihadistes comme de la montée d’un fort sentiment anti-français, mettant ainsi, de Conakry à Ouagadougou en passant par Abidjan, la diplomatie française à très rude épreuve…

  • Le Conseil constitutionnel ivoirien invalida au profit de Gbagbo la victoire que la commission électorale accordait à Alassane Ouattara.

Par Alain Léauthier

https://www.marianne.net/monde/afrique/cote-divoire-ouattara-president-pas-encore-reelu-et-deja-illegitime

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