Dr Armand Leka Essomba et l’affaire patrice Nganang: Nécrophilie et imagination politique.

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Dr Armand Leka Essomba trouve inutile ROUVE INUTILE L’INTERPELLATION DE PATRICE NGANANG
La « mort » de Paul Biya à Yaoundé.

Nécrophilie et imagination politique.
Du fait ou grâce à Achille MBEMBE, l’excitation médiatique autour de l’affaire NGANANG s’est simultanément amplifiée et déplacée. Usant publiquement de son droit de ne point s’abstenir, le penseur camerounais probablement le plus écouté, souhaitait dire publiquement, pourquoi il renonçait à offrir sa signature à une pétition en circulation, appelant à la libération de son compatriote, encerclé par les figures judiciaires et pénitentiaires d’un pouvoir qu’il combat, sans doute « à mort ». En vain…

Déplacement de la critique

Dans ce texte où talent et colère s’accouplent, Achille MBEMBE tout en confessant le « mépris », le « dédain » et l’ « indifférence » qu’il nourrit à l’égard de son compatriote, et profitant pour payer, avec une certaine rudesse une vieille dette de querelle, appelle pourtant et de manière explicite et réitérée à la libération de Patrice NGANANG.

Cet appel a été hélas éclipsé par un incroyable chahut. Ici et là, certains ont regretté avec une rare véhémence des propos chargés, selon eux, de « tant de haine ». Certains n’y ont vu que « vomissures ». D’autres encore sur fond de « grand frérisme » se sont interrogés sur l’opportunité qu’il y avait à accabler un « petit frère » déjà « au sol ».

Quelques uns n’ont pas manqué d’insinuer un brusque revirement d’alliance avec le pouvoir, traitant au passage le penseur que le monde entier nous envie de tous les noms d’oiseaux, concluant même (préjugé territorial d’un autre âge) à son incapacité à comprendre et à analyser la vie d’un pays dans lequel, il n’y aurait plus mis les pieds, il ya près de vingt cinq ans désormais.

En l’espace d’un moment incroyable de griserie réticulaire et médiatique, d’épanchement et d’inflations verbales, la coalition morale qui prenait forme autour de la critique publique d’une procédure judiciaire à l’encontre d’une figure importante de la littérature africaine contemporaine s’est dans un premier temps presque ramollie. Elle a laissé place à des chamailleries dignes des brouhahas d’une cours de récréation.

D’éminentes figures se sont parfois laissé emporter à ces bagarres vaines. Dans la plupart des communautés numériques, des clivages nourris secrètement et parfois inconsciemment par des formes d’affections ethnocentrées sont perceptibles. Au lieu d’approfondir les significations politiques attachées à ce « lapsus » indécent, fantasmant la « mort par balle de Paul Biya », presque tout nous invite désormais à être pour ou contre MBEMBE.

La critique, dans la plupart des groupes très nombreux auquel l’on a pu avoir accès, s’ensable hélas dans des duels et des comparaisons périphériques, strictement inutiles et pour l’essentiel contre productives.

L’auteur de ces lignes a toujours été intrigué par ces formes frivoles de dépense, aux quelles l’on commence à être hélas coutumier au Cameroun. On le sait mieux pourtant, non seulement elles retardent la discussion sur l’essentiel et le débat sur l’urgent, mais en sus, elles sont révélatrices de cette culture sociale de la versatilité, qui cimente en grande part, la personnalité de base du camerounais d’aujourd’hui. Tout ceci a pourtant pour résultat paradoxal – on le voit bien- de semer la confusion, d’alimenter des formes inédites de distractions et d’affaiblir durablement une société civile déjà visiblement victime de cette pathologie de la virilité (voire de la vitalité) : l’incapacité de se mettre debout, dont l’autre nom est l’impuissance.

En ce temps gris, où tout semble indéchiffrable, l’on n’y peut rien hélas. Se chamailler « publiquement » à longueur de journée, étant devenu un trait culturel dominant de notre époque. A l’ombre de cet véritable arbre à palabre qu’est désormais internet, planté en pleine cour de ce « village planétaire », n’importe qui, n’importe quand, à n’importe quel moment et sous n’importe quel prétexte, peut cracher sur n’importe qui, renverser un totem, lacérer une image sacrée, démolir une œuvre d’art…etc.

L’on commence à peine à prendre conscience du nouveau régime d’espace public et de géométrie culturelle qui émerge au seuil de cet âge digital de notre civilisation : une horizontalité désacralisée, alimentée par des formes inédites de populismes intellectualisant. L’idée (post) moderne qui prétend qu’il n’y aurait plus aucun frein, aucune limite, aucune réserve, et que la « nudité radicale du corps » serait la métaphore de notre condition de liberté.

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Les mots-clés du débat public imposés à longueur de journée tournent ainsi autour du sexe, de la pornographie, du streep tease, du cadavre et du sang. C’est cette paresse et cette forme de fatalisme qu’il nous faut interroger et penser en profondeur. Le « lapsus » indécent du talentueux écrivain va donc au-delà d’une anomalie civique et éthique personnelle, pour révéler un déplacement d’ « anthropologie »

Le corps du « délit » : nécrophilie et défaite de la pensée

Réfléchir à la « mort » de Paul Biya, ne signifie pas nécessairement souhaiter sa mort. En dépit des contentieux si multiples que cet homme d’Etat entretiendrait avec ses compatriotes, un tel souhait, au regard de l’ « anthropologie » et de l’éthique nous semble non seulement indécent, mais surtout parfaitement inutile. L’efficacité symbolique et la plus value politique d’une telle superstition s’étant d’ailleurs avérées jusqu’ici non seulement de moindre valeur subversive, mais surtout comme porteuses de résultats tout à fait contraires.

Pourtant, il reste que l’homme qui, depuis la tentative de coup d’Etat du 06 avril 1984, a échappé (survécut) à tant de meurtres réels et imaginaires, fait de plus en plus l’objet des assauts répétés de la « nécro rhétorique ». Nous sommes là en face d’un phénomène politique et sociologique significatif, dont l’effort d’interprétation pourrait fournir une clef de lecture au cul-de-sac auquel nous aura conduit une classe d’hommes politiques, toutes tendances confondues dans le Cameroun de ce jour.

Hélas, aveuglés par des slogans périmés, dictés pour l’essentiel par l’agenda idéologique misérable des opposants et contestataires auto institués, qui, à force de répéter à longueur de prise de parole que « Biya doit partir », croient avoir émis une position courageuse et originale dans les efforts qui visent à mettre fin au séjour dans le désert qui est visiblement la condition quotidienne de la multitude, nombreux seraient encore une fois tentés de discréditer un tel effort par la sentence paresseuse bien connue: verbiage. Il ne faut pourtant point se fatiguer de réfléchir posément à nos défaites collectives, de penser sereinement nos impasses. L’une des plus compliquée nous semble de nature politique.

De fait, le temps politique au Cameroun semble fortement coloré de pessimisme. Cet imaginaire politique pessimiste, alimentée par le sentiment diffus de l’invincibilité électorale du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) parti au pouvoir et de son chef, tend à condamner l’imagination politique à l’impuissance en l’inscrivant dans l’horizon indéterminé de la fatalité.

Quatre tendances renforcent un tel imaginaire : l’épuisement de crédit des forces politiques et sociales classiques; la lassitude des populations dont les mobilisations antérieures n’ont pas coïncidées avec les espérances investies; une certaine indifférence intellectuelle quant à réfléchir encore à la question du changement et des modalités souhaitables de son avènement; et enfin, l’idée et la croyance largement socialisée et admise qu’aucune adversité politique rationnelle, ne pourrait plus aujourd’hui avoir raison de la très longue espérance de vie présidentielle de l’actuel Chef de l’État. L’ouverture d’un nouveau cycle d’effervescence pluraliste reste donc manifestement dépendante d’un « accident politique » et dans le cas présent, la mort de Paul Biya

En juin 2004, lorsque la rumeur la plus longue et la plus spectaculaire de l’histoire politique du renouveau se propagea (Paul Biya, Chef de l’Etat camerounais est mort dans une clinique de Genève), cette dernière suscita dans certains milieux populaires, des manifestations de joie publiques. Telle attitude impressionna même un membre du gouvernement. Dans de nombreux autres milieux plus prudents, si l’on ne se livra point à des accès de joie publics, l’on rendit tout de même grâce à dieu d’avoir « autorisé un tel arbitrage ». Dans le non-dit des silences et autres conversations, il se manifestait comme une disposition sociale collective à accueillir cette nécro rumeur, à l’acclamer même. Nombreux sont à l’avoir voulu vraie.

Le démenti officiel ajouté au retour de l’homme au pays, fut pour ceux-là une déception réelle. Telle n’en fut pourtant pas le cas vingt ans auparavant : protégé en lieu secret par quelques fidèles au paroxysme du flottement des institutions en avril 1984, nombreux auprès de qui la rumeur de sa capture ou de sa mort parvint, luttaient contre telle perspective, la repoussait quasiment, ne souhaitant point l’entrevoir. Investit deux ans auparavant de la légitimité institutionnelle, la nouveauté de sa proposition politique associée à l’histoire de sa trajectoire publique marquée par un réel effort de discrétion et d’humilité, Paul Biya séduisit l’immense majorité de la population entière.

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L’on assista même à des formes particulières « d’hérésies culturelles », où l’on vit le nouveau chef d’Etat coopté de manière exceptionnelle, au prix de gymnastiques coutumières qui, avec le recul font sourire, au sein de multiples confréries traditionnelles(Nord-ouest, Sud-ouest, Noun, Littoral, Nord etc.) ; « structures de pouvoirs » qui, à l’intérieur du divers identitaire qu’est le Cameroun, jouissent encore d’une relative autorité sociale auprès des gens du commun(on le fit Fon par là, notable là-bas,..Etc.). Les légitimités culturelles attachées à de telles conversions et transactions symboliques ne sauraient être négligées dans l’économie du pouvoir chez nous.

Ainsi, mis à part la parenthèse des années 1990, sa vitalité politique s’est avéré quasiment constante. Pourtant, de 1984 à ce jour, de très nombreux contentieux ont vu le jour entre cet homme et ses compatriotes. La géographie réelle de la déception sociale couvre au fond toute l’étendue du territoire national. Ici, les résultats électoraux officiels, pris comme jauge formel de légitimité démocratique ne constituent point l’instrument adéquat de mesure de telle déception.

Car au fond, la grande défaite des forces politiques soucieuses de faire advenir l’alternance politique, ainsi que leurs liaisons sociales, se trouve dans leur incapacité manifeste à convertir en ressource politique significative (victoire électorale), cette déception sociale collective née des désillusions du Renouveau. Tout se passe donc comme si toute tentative de « tuer » Paul Biya débouchait paradoxalement sur un reflux de vitalité politique pour lui. Il en a été ainsi en 1984(tentative de coup d’Etat militaire) mais aussi en 1992(épuisement brutal de sa légitimité).

En juin 2004, l’annonce de sa mort a pu être lu par certains comme une tentative de coup d’Etat symbolique. Pour un homme qui a rarement des déclarations spontanées, il faut se souvenir qu’il donna rendez-vous à ceux qui s’intéressaient à ses funérailles dans une vingtaine d’années : durée correspondant exactement à la durée qui le séparait de la première réelle tentative de le tuer (1984-2004-2024).

De la raison des armes aux armes de la raison

Plus que la marche de Bamenda du 26 mai 1990 avec son lot de morts, ce fut précisément les échos qui nous parvinrent, du célèbre procès intenté à Célestin MONGA qui, finira par nous ouvrir les yeux, sur la signification des événements politiques qui agitaient notre pays. A l’âge de 15 ans, MONGA nous fit entrevoir la valeur subversive de l’écrit public et les usages politiques qui peuvent en être faits, notamment dans des moments critiques d’affrontements symboliques de deux philosophies de gouvernement comme notre société l’expérimenta à l’époque.

L’appel démocratique (la fameuse lettre ouverte au président de la République) perçu comme un enjeu de vie pour nos sociétés, dans un contexte encore largement traversé à l’époque par le souffle nécro politique, parut blasphématoire. Derrière la prise de position politique, se trouvait une proclamation éthique. Grace à la lecture assidue des figures comme, Jean-Marc ELA, EBOUSSI BOULAGA, MONGO BETI ou encore Achille MBEMBE, certains d’entre nous se sont enrichis en culture, en esprit et en vérité.

Or c’est l’enrichissement de la « culture appauvrie » qui seule, est susceptible de provoquer dans une société les grandes secousses sociales qui rendent possible, le changement souhaitable. Vouer aux gémonies, dans une incompréhensible obsession de la bagarre confinant à une logique de « terre brulée intellectuelle », ces grands témoins de notre « caverne » fut non seulement une regrettable maladresse, mais en plus, une erreur à la fois morale et politique. On peut en sortir en faisant l’expérience d’une profonde solitude, notamment lorsqu’on s’exprime en dehors des franchises littéraires.

Comme universitaire et homme d’esprit, je considère l’arrestation et le procès de Patrice NGAGANG parfaitement inutile, voire contre productif. Les autorités devraient accélérer les procédures de sa relaxe urgente. L’on en avait point besoin. Toutefois, dans le fond, le fantasme de la « mort » de Paul BIYA exprimerait ainsi, dans l’imaginaire social large, un profond fatalisme, teinté de découragement quant à la capacité rationnelle qu’une société de gens civilisés, ont de provoquer les mobilisations sociales qui disciplinent et surveillent des élites, coupables de « délinquance sénile ».

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Misère de notre devenir : l’obsession du palais
Le vœu qui postule un Cameroun différent de ce qu’il est aujourd’hui, nous sommes très nombreux à le partager. Dans des réflexions antérieures, l’auteur de ces lignes a toujours exprimé son scepticisme sur cette sorte de bâton magique qui consiste à croire qu’il suffira qu’un individu s’efface pour que le pays dans lequel nous sommes nés change automatiquement.
J’y vois là une forme spécifique d’aveuglement.

Cet aveuglement qui s’accompagne de fragments d’amnésies relève probablement d’une pathologie de «l’opposition». Sauf bien entendu à appauvrir à l’extrême des termes aussi riches tels reconstruction, ou renaissance. Ce qui tend à échapper aux yeux de tous ceux qui très nombreux, s’accrochent à cette superstition, c’est que entre temps, au vu et au su pourtant de chacun, l’on est en train de créer en ce moment, les conditions d’une alternance qui serait avec des nuances subtiles, la copie de ce qui se fit au seuil des années 1980.

Prenons par exemple la borne de 1982 sur laquelle l’on insiste souvent. Avant cette date, AHIDJO incarnait le grand Satan. Le jour où il prétendit s’effacer, toute une société sombra dans l’illusion que l’ère où tout sera renouvelé était arrivée. Après cette date, c’est-à-dire aujourd’hui, nombreux n’hésitent pas à parler en termes apologétiques d’AHIDJO ; ils lui trouvent même des circonstances atténuantes, pardonnent volontiers au dictateur sanguinaire et préfèrent célébrer le bâtisseur de l’Etat et le prédicateur de l’unité nationale. Il était vivant aujourd’hui qu’il gagnerait des élections présidentielles.

Mieux que nous, dans sa vaste culture et pour avoir probablement séjourné dans de nombreuses « humanités », Patrice NGANANG est informé de ces paradoxes qui appartiennent à l’histoire des changements politiques. Ces versatilités propres à nombre de nos sociétés doivent nous enseigner.

Pour ma part, Les lois de la biologie, indiquent que l’actuel Chef d’Etat se trouve au soir de son séjour dans la vie en général et la vie publique en particulier. Des gestes très subtils indiquent qu’ils est habité par la question : «comment mourir ?» c’est-à-dire, comment et à quelles conditions organiser le passage de témoin, tout en s’assurant que sa sépulture ne fera point l’objet de profanation et que ses funérailles, au lieu d’un « procès populaire » soient plutôt le lieu d’une célébration apologétique de sa figure et des bienfaits de son ministère public.

S’il enregistre cette victoire sur sa « mort »,-ce qui ne fut pas le cas de son prédécesseur- peut être faudra t-il être moins dogmatique sur les perspectives de renaissance. Au lieu donc de se contenter de reprendre des slogans que l’on répète depuis plus de vingt ans, les forces sociales vigilantes devraient dès maintenant engager un travail patient et approfondi de prospection et d’intelligence politique, afin de faire fédérer autour d’un projet alternatif crédible, les élites progressistes de notre pays.

Et en dépit de ce que l’on pourrait croire, ces élites sont partout : au pays et hors du pays ; certaines au pouvoir et hors du pouvoir ; quelques unes dans l’opposition et hors de l’opposition…etc. L’Etat qui jouit du privilège systémique, de conduire de façon durable les changements souhaitables devra être entre les mains de cette technocratie nationaliste et éclairée, réellement soucieuse de construire durablement les conditions de la prospérité.

Cette technocratie éclairée, doit elle-même être encadrée par des institutions de veille, chargées de limiter toutes les formes bruyantes d’idolâtries laïques, qui, en nous empêchant de voir sereinement au-delà d’aujourd’hui, constituent du moins en grande part, une menace occulte à notre stabilité à court terme. Ce travail culturel, en dépit de tout, incombe de mon point de vue, à une nouvelle génération.

Au-delà des obsessions sur les individus, telle semble, du moins à mes yeux, la condition majeure pour une possible transformation significative de notre présent. Quant au reste, Nelson MANDELA, nous indiqua une voie souhaitable : Le refus de la haine et du ressentiment. La politique de la vie, le refus du fratricide sous toutes ses formes, ne constituent pas simplement les thèmes récurrents de la pensée de nos illustres devanciers, ils sont aussi la condition morale de toute vie politique démocratique durable et humaine.

Armand LEKA ESSOMBA
Sociologue,
Laboratoire camerounais d’études et de
Recherches sur les sociétés contemporaines
Université de Yaoundé I

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