Cameroon’s Crash of A Nation-State: Réflexion sur le vif!

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« Nulle œuvre sérieuse ne peut s’ériger
dans le désordre et le chaos »
(Paul E. Magloire, 1950)

Le crash de « l’État-nation » camerounais et sa crise portée par une « identité d’anglophonie » (citoyens-ordinaires de culture linguistique anglo-saxonne), sont de parfaites peintures illustrant la désintégration d’une politique républicaine qui aurait fait son temps. Les analystes politiques aguerris du froufroutement médiatique au Cameroun semblent tous soutenir que la dite « Crise anglophone » ou la « Crise des régions du Sud-ouest et du Nord-ouest » est une crise de mal-être citoyen. Cette crise s’articule d’ailleurs et avant tout autour des questions d’économie-politique à travers lesquelles se formulent l’appauvrissement grandissant des uns et l’enrichissement illicite des autres – toujours les mêmes d’ailleurs – et ce, grâce à une mauvaise gouvernance devenue épidémique, une immoralité tout azimut et une injustice qui continuent de fragiliser l’État-nation camerounais, historiquement bricolé dans son hétérogénéité politique, sociale et culturelle.

Plus elle dure, plus cette crise révèle l’inefficacité pérenne de la politique républicaine et met à jour l’échec de son système de gouvernance puisque, jusqu’à présent, tous les élus et les fonctionnaires mandatés pour dénouer la crise ont échoué, les uns après les autres. De plus, cette crise nous révèle comment les fonds de l’État ont souvent servi à des fins politiques et non à réaliser des projets locaux ou de cohésion sociale. Bien au contraire, des fonds publics sont ici utilisés pour soudoyer une partie de la population; seul moyen pour des « faux élus » de l’État de rester au pouvoir, seule tactique pour eux de diviser les populations en groupuscules d’amis et d’ennemis, en tribus au marché des enchères, érigées les uns contre les autres; bref, diviser pour mieux régner. Toutefois, tout le monde aujourd’hui et dont les membres du parti au pouvoir, semble enfin admettre l’évidence : « le pays va mal ». L’État va mal; preuve en est qu’il n’a jamais réussi à faire sortir ses citoyens-ordinaires de leur mal-être banalisé depuis plus de 35-ans, avec des pratiques d’une gouvernance politique impécunieuse et démodée.

Cette crise est donc la révélation d’un système politique trop vieux et en manque de renouveau; une politique donc les principales articulations ont toujours été la réification du citoyen – sa « bébéisation », quelques miettes ponctuelles ici et là pour l’endormir d’une part et d’autre part, l’imposition d’un État de non-droit qui s’autorise à utiliser la violence et la force de son fouet contre ce citoyen-ordinaire devenu indocile – comme au temps des colonies.

En effet, un des grands malaises de cette gouvernance d’appât et de gourdin est sa quasi-institutionnalisation d’un État de non-droit et d’une injustice au profit d’une politique du ventre dont l’aboutissement, sert, plus souvent, à solidifier le positionnement politique de quelques ministres et hauts fonctionnaires au lieu de servir la Nation. Ici, on préfère monologuer avec des principes décontextualisés et archaïques. On refuse tout dialogue, préférant dévaluer et discriminer tous ceux qui sont critiques, même les organismes internationaux.

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Une autre lecture de l’histoire du Cameroun nous permettrait de comprendre l’origine de ces manœuvres politiques. En effet, les trois transitions politiques qu’a connues le Cameroun, celles qui le transportèrent du système impérial-colonial au système républicain de nos jours, ont pour fil conducteur la mise sur pied et le renforcement d’une société de non-droit. Comme les Allemands assassins de Manga Bell et ses confrères pour « haute trahison », les Français assassinent de manière arbitraire sans aucune justice et surtout sans même s’inquiéter, car ils n’auront aucun compte à rendre, ni hier, encore moins aujourd’hui. C’est cette même pratique de la force et de l’injustice que s’autorise aujourd’hui l’État camerounais, lequel élimine ses citoyens-ordinaires taxés de terroristes, comme ces patriotes nationalistes et indépendantistes, désignés traitres et maquisards, pourchassés et massacrés dans l’illégalité totale par l’armée française.

Paradoxalement, ce modèle colonial d’État de non-droit, cette absence d’éthique, de moralité et de justice étatique, ce modèle de gestion par le fouet, la force et la brutalité, est devenu le fondement de tout acte politique au Cameroun d’aujourd’hui. Il est l’illustration d’une corruption morale généralisée, gangrénée dans les mentalités et comportements de la vie de tous les jours sans que personne ne semble pouvoir y échapper.
Nous voyons cette violence du fouet, cette corruption de la vérité s’exposer de la bouche d’un des célèbres griots de l’État, tombé dans son propre piège démagogique, dire : « vous donnez la parole aux sécessionnistes, je fermerai votre télévision demain! » Ainsi, sous le prétexte d’une crise de sécession de quelques opportunistes véritablement insignifiants sur le plan national (et même sur le plan régional), un représentant de la loi inscrit publiquement, en ce 2017, son action politique dans la censure et le fouet. Idem avec les récurrentes interdictions de multiples manifestations d’opposants politiques et conférences de presse d’individus qui veulent souvent, simplement, communiquer leur opinion.

Ces hauts fonctionnaires de l’État, tantôt ministre tantôt chef de la terre, au lieu de chercher à être créatif, au lieu de chercher à vaincre leurs opposants par le dialogue et l’arme du débat pour justement montrer la grandeur de la république, la solidité de ses institutions et leur immuabilité, tout ce qu’ils trouvent à faire est de sortir leurs fouets et leurs gourdins, l’expression d’une corruption politique naturalisée.

Déplorable et pathétique, cette façon de gouverner. Ce dictat de toujours taire ceux et celles qui pensent autrement et qui veulent exprimer leur profond mal-être en public. Pire, cette façon de faire se répercute dans la vie de tous les jours d’autres Camerounais qui sont ainsi forcés, d’une part, à s’autocensurer et à vivre dans le non-dit, et d’autre part à acquiescer, à participer, complices impuissants dans la normalisation de cet opprobre.
L’autre jour, un homme de loi, un célèbre juriste sénior déclare au cours d’un débat télévisé que même quand les agents de police ne lui demandent pas de bakchich dans un barrage, il s’arrête de lui-même pour leur donner quelque chose : « pour qu’ils aillent boire une bière » a-t-il naturellement conclu.

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Mais ce même juriste, analyste politique ayant droit d’intervention au débat national – déclare être né dans un village à une heure de Douala (capitale économique du Cameroun) où jamais une voiture n’a circulé tout simplement parce qu’il n’y a pas de route. Allez donc comprendre pourquoi ce juriste, membre du parti au pouvoir depuis plus de trois décennies, participerait-il encore à cette culture de corruption, à ce militantisme de la bière, à cette politisation du ventre.

Le Camerounais aurait ainsi « domestiqué » le manque d’éthique et normalisé le pouvoir du fouet, car comment être éthique quand on devient intouchable… comment être éthique si lors des élections, on sait qu’on gagnera toujours, coûte que coûte, en profitant non de la vérité mais du vice de nos politiques, « d’un asservissement systématisé » de nos concitoyens, d’une perversité qui a fait de l’alcool, du sexe, des églises et du mysticisme la légalisation de notre propre existence politique. Enfin, comment des fonctionnaires et hauts dirigeants de l’État, ces intouchables investis d’un pouvoir apodictique du Chef de l’État, pourraient-ils dialoguer avec leurs concitoyens-ordinaires, avec des groupes de personnes qui ne pensent pas comme eux? Comment leur faire admettre qu’ils coulent l’État-nation déjà fragilisé, en rejetant l’existence d’autres intelligences et formes alternatives de gouvernance, en diabolisant des projets de « modernisation » de l’État et des mentalités, surtout s’ils proviennent d’une Diaspora ciblée et représentée, ‘a priori’, comme constituée de « transfuges, maquisards et terroristes », de « traitres », les mêmes qualificatifs utilisés d’antan pour nommer les opposants-patriotes qui ne voulaient rien d’autre qu’une libération totale du peuple camerounais. (Voir pour référence La Presse du Cameroun du 6 avril 1960).

En conclusion, si le président de la République compte toujours inscrire une politique mémorable dans la postérité du devenir national de l’État qu’il dirige toujours, il devrait ‘in fine’ instaurer une véritable politique non politicienne, une politique éthique et morale. L’État-nation du Cameroun fait de nouveau face à un crash d’idées sur son devenir.

Comme lors des précédentes crises — celle de la faim de 2008, celle de la démocratie des années 1990, celle des indépendances des années 1950 à 1970 et celle contre l’injustice impériale allemande des 19ème et 20ème siècles – il se cristallise aujourd’hui la révélation d’une crise de citoyens-ordinaires, de Camerounais anglo-saxons, autour d’un profond désenchantement généralisé vis-à-vis du politique et de l’État. C’est donc ici une parfaite occasion pour mettre sur pied une autre vision du devenir national, l’occasion de s’inscrire dans un héritage pérenne.

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Boulou Ebanda nya B’bedi

Nous appelons à un véritable « dialogue national » sous l’arbre à palabre, pour initier cette nouvelle politique de « vérité » dans une dynamique de changement réel et nécessaire de notre système de gouvernance… L’État doit agir vite et fort, en commençant par mettre ses dirigeants incompétents dehors; en dialoguant avec ses concitoyens qui proposent d’autres idées et en les intégrant dans ses rangs. L’État citoyen que nous appelons ici doit devenir plus efficace et instaurer le droit. Il doit cesser de gouverner par décret et changer les fondements de sa constitution pour (1) responsabiliser ses hauts fonctionnaires et élus politiques, les tenir responsables, directement, de leurs échecs criants; (2) institutionnaliser la marche de l’État vers une modernisation indéniable, car le gouvernement actuel est totalement déconnecté des réalités de ses citoyens; dépassé par les événements, il est encore loin au 20ème siècle, qu’il ne parvient même plus à communiquer avec le peuple; et (3) repenser notre système démocratique en recherchant un équilibre non-politicien, mais une audace éthique mesurée, juste et constitutionnalisée justement.
Ainsi, si le président de la République compte encore se réclamer d’un héritage politique mémorable, c’est l’occasion de le faire, dans les plus brefs délais! Dans cette nouvelle « pratique » de la pratique politique, il s’agira, surtout, de politiser le pouvoir du peuple, de lui donner une force de sanction dans les urnes; dans un système transparent. Il s’agira de créer une démocratie de responsabilisation citoyenne, non plus de partis politiques, dans laquelle de véritables élus locaux auront non seulement des comptes à rendre à leurs populations, mais aussi à l’État qui renforcera son statut de juge suprême. Dans ce nouveau système, ces élus devront véritablement compétitionner pour parvenir au pouvoir et le pouvoir suprême devrait s’assurer de ne pas favoriser un candidat contre un autre, soit-il de son parti. Ces élus devront défendre et légitimer leur vision sociale devant leurs populations et leurs pairs; ils devront avoir des arguments à la fois intellectuels, sociologiques et aussi économiques pour convaincre.

Enfin, si l’État-nation veut sortir de ce crash, il doit divorcer avec son système de gouvernance de fouet et de carotte hérité de la colonisation et instaurer une véritable politique éthique, une démocratie endogène. Cela n’est pas impossible!

Boulou Ebanda nya B’bedi, Ph.D.

Professeur titulaire des universités et Directeur de recherche
Université d’Ottawa

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