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Tout d’abord, j’adresse mes condoléances les plus attristées aux familles et aux proches des victimes des violences qui ont secoué diverses régions du pays dans cette période post- électorale depuis le scrutin du 12 octobre 2025. Que les âmes des disparus reposent en paix. Aux blessés et aux personnes angoissées par la perte de leurs biens, j’adresse mes vœux de prompt et complet rétablissement.

Je suis aussi extrêmement inquiet de la situation de nombreux leaders de partis politiques, de la société civile et plus d’un millier de Camerounais qui ont été arrêtés, nombreux en dehors de tout respect du cadre juridique en vigueur. On fait aussi état de nombreux cas de tortures, et de disparitions extrajudiciaires.

Ce n’est que dans des sociétés opaques et autocratiques, où les règles du jeu ne sont ni respectées ni appliquées par tous, que des élections, qui devraient être un moment de joie et de célébration, se transforment en bain de sang et en destruction.

Les trois dernières semaines, depuis l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, ont été extrêmement pénibles pour moi et pour beaucoup de nos compatriotes. Tout d’abord, l’angoisse de l’attente de la publication des résultats de l’élection qui, bien que livrée dans les délais prévus par la loi, outrepasse la réalité des technologies modernes qui, de nos jours, facilitent la collecte et la transmission des données en temps réel. Hélas, d’autres pays africains comme le Sénégal, voire le Nigéria (avec plus de 90 millions d’électeurs inscrits) ou le Ghana (près de 20 millions), annoncent leurs résultats moins de 72 heures après la fermeture des bureaux de vote.

Dans ces pays-là, les médias, publics comme privés, diffusent les résultats au fur et à mesure de leur annonce dans les différents bureaux de vote, tandis que les candidats, les partis politiques et la population procèdent indépendamment au calcul des tendances possibles de façon simultanée. J’étais à Dakar, au Sénégal, lors des élections présidentielles les plus disputées de 2012 et 2024, et les résultats ont été proclamés dans les 24 heures suivant la fermeture des bureaux de vote. À chaque fois, le pays a poussé un soupir de soulagement et chacun a repris ses activités professionnelles et privées avec joie et une confiance absolue dans l’avenir du pays.

Le spectacle que connaît notre pays est pénible à vivre, et m’est venu à l’esprit maintes fois, que pendant que le monde se concentre sur les conflits à Gaza, en Ukraine et au Soudan, notre propre patrie de plus de 30 millions d'habitants pourrait sombrer dans encore plus de violence, de conflits et de chaos. Je suis d’autant plus indigné vu que beaucoup des huit millions d’électeurs inscrits ont voté sereinement et dans le calme le jour du scrutin.

Cependant, les agrégations subséquentes des décomptes des voix et l’annonce des résultats ont suscité de sérieux soupçons de fraude et de manipulation des résultats pour favoriser l’un des deux principaux candidats. Le système de centralisation des votes à plusieurs niveaux, mis en place il y a des décennies, apparaît désormais totalement obsolète et vulnérable à des manipulations. Heureusement pour le pays, l’électorat mieux informé et une société civile très déterminée ont œuvré sans relâche pour plus de transparence et de responsabilité, ainsi que pour la protection et la défense du vote populaire. Ils méritent respect et nos vifs remerciements.

Nous ne pouvons pas balayer d’un revers de main les soupçons qui nous habitent, car nous avons déjà été échaudés par le passé, notamment en 1992 et 2018, des élections que les partis d’opposition, jusqu’à ce jour, affirment avoir remportées dans les urnes. Pour 2025, fort heureusement, les partis d’opposition et la société civile ont mis en place diverses plateformes pour compiler de manière autonome les résultats électoraux, à partir des procès-verbaux de dépouillement et des résultats annoncés publiquement par les agents électoraux dans les bureaux de vote.

Le problème qui se pose est que leurs chiffres donnent une victoire nette pour Issa Tchiroma, contrairement à la décision rendue par la plus haute juridiction compétente du pays, le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, à certains endroits, les chiffres de ELECAM sont contradictoires à ceux promulgués par le dit Conseil Constitutionnel. ce qui ajoute à la confusion et à la suspicion des manipulations évidentes visant à ne pas traduire fidèlement la vérité des urnes.

Les enjeux sont énormes, le choix binaire est radical et les tensions sont à leur comble, et ça se comprend: les élections constituent le seul contrat négocié publiquement entre les élus et les citoyens au vu et au su du monde entier, et si une élection peut être truquée au grand jour et en toute impunité, ou si de fausses allégations peuvent être faites quant à son résultat, alors tout autre acte de mauvaise gouvernance, souvent fondé sur des décisions prises derrière les portes fermées, paraît bien insignifiant en comparaison.

Dès lors, les citoyens sont braqués et à couteaux tirés, et les divisions s'accentuent de jour en jour, avec les ‘villes mortes’ très suivies, une économie déjà fragile est en ruine, tandis que les troubles civils s’éternisent et s’accentuent. L’avenir du Cameroun est en jeu, car des millions de personnes aspirent à
davantage de liberté, à la transparence et à une véritable démocratie, autant d’éléments qui leur ont manqué durant les 43 années de règne du régime actuel. Il en va de même pour l’avenir de toute la sous-région d’Afrique centrale, où des pays plus petits et plus fragiles – le Tchad, la République centrafricaine, le Congo, la Guinée équatoriale et le Gabon – comptent sur la paix et la stabilité de l’hégémonie que représente pour eux le Cameroun.

Le Cameroun, notre pays est déjà fragilisé par un conflit armé qui dure depuis huit ans dans les
deux régions anglophones; conflit que Biya n’est pas encore parvenu à résoudre, et dont Tchiroma s’engage à faire la priorité. Par ailleurs, Boko Haram et d’autres mouvements extrémistes islamistes continuent d'opérer dans le nord-est du Nigéria et le bassin du lac Tchad, régions qui partagent une longue frontière poreuse avec le nord du Cameroun, où se trouve également le fief électoral d’Issa Tchiroma. Heureusement pour le Cameroun, la victoire d’Issa Tchiroma, telle que projetée par une frange importante et significative de la population et la majeure partie de la société civile, est assurée à l’échelle nationale, y compris dans les grandes villes comme Yaoundé, Douala, Bafoussam, Dschang et Limbé.

L’Afrique souffre des séquelles des conflits liés aux élections, a l’instar des milliers de morts lors des violences post-électorales au Kenya en 2008 et en Côte d’Ivoire en 2010, jusqu’aux récents coups d’État militaires au Gabon, en Guinée, au Mali et au Niger que les putschistes ont liés à des élections contestées ou mal organisées. Sur le continent, nos populations ont toujours payé un lourd tribut aux manœuvres et manipulations électoralistes orchestrées par des politiciens sans scrupules et des élites égarées.

La tragédie pour notre pays réside dans le fait que des millions de nos concitoyens sont conscients de la supercherie et dorénavant portent des craintes palpables par rapport au désastre imminent. À en juger par son silence assourdissant depuis le début de la crise, le président sortant, âgé de 92 ans, a déjà perdu la bataille de la légitimité aux yeux des millions de nos concitoyens et, peut-être déconnecté de la réalité, ne semble plus appréhender pleinement les dangers qui guettent notre état-nation déjà si fragile.

Le drame aussi c’est que beaucoup de hautes personnalités, y compris certains hauts responsables sécuritaires et des services de renseignement, d’après leurs fonctions et leurs rôles pendant la période électorale, connaissent à fond la vérité sortie des urnes. Jusqu’à l’heure actuelle, l’Union africaine et les
autres instances continentales n'osent pas appeler le chat par son nom, et la communauté internationale et les partenaires au développement sont distraits par d’autres crises pour certains et indifférents par rapport à la nôtre pour d’autres.

Et pourtant, la solution est à portée de main si nous tenons à la vérité et la transparence, et aux
valeurs qui en découlent. La solution est à portée de main parce qu’elle consiste à exiger qu’ELECAM publie les résultats des élections, bureau de vote par bureau de vote. Ce serait un acte de haute responsabilité professionnelle ; en fait, un devoir patriotique en ces temps de crise ou le pays risque de se déchire pour toujours.

Par ailleurs, rien dans la loi n’empêche ELECAM de le faire, surtout que c’est sur la base de ces résultats des bureaux de votes que les totaux centralisés ont été obtenus. Une telle publication permettra aux citoyens partout à travers le territoire national de vérifier l’exactitude des totaux agrégés attribués aux différents candidats en leur nom.

Elle mettrait fin aux querelles, aux intimidations, aux menaces et aux arrestations arbitraires, ainsi qu’aux violences, aux pertes de vies humaines et aux destructions de biens. La publication de ces données par ELECAM est en ces circonstances une urgence capitale d’intérêt national vital et existentiel ! Retenir ces informations du grand public alors qu’elles aideraient à mettre fin aux conflits en cours serait de la haute trahison! En fin de compte, il n’y a que la vérité qui libère !

En l’absence de ces éléments de preuves vérifiables, les appels à la paix et à la réconciliation sonnent creux, tout comme les injonctions par certains à respecter l’État de droit qui, de plus en plus, apparaissent comme à géométrie variable et bien sélectives. Je garde espoir que la conscience profonde des coupables du crime en cour et notre sens collectif et aigu de la vérité, de la transparence, de l'honnêteté, de la justice et de l’humanité triompheront afin que nous puissions ensemble nous ressaisir afin de sauver même en extremis, cette belle maison en verre suspendu à des pieds d’argile, avant qu’il ne soit trop tard !

Dr Christopher Fomunyoh est le fondateur de la Fondation Fomunyoh, directeur chercheur associé principal pour l’Afrique au sein du National Democratic Institute for International Affairs (NDI), une organisation américaine à but non lucratif qui œuvre pour la liberté et la démocratie dans le monde. Il est également professeur associé de politique africaine à l’Université Johns
Hopkins à Washington D.C., aux États-Unis.

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