Commémoration de la mort de Ruben Um Nyobè : entre enseignements et engagements

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Ce 13 septembre, la famille politique camerounaise se rappelle du décès d’un de ses grands héros du combat pour l’autodétermination du Cameroun. Lequel combat a conduit à l’indépendance du Cameroun sous mandat français le 1er janvier 1960. La présente réflexion liée à cette commémoration, voudrait non seulement rappeler les engagements que devraient honorer tous ceux qui se reconnaissent dans l’idéologie libératrice upéciste ( 2è partie) que les grandes enseignements à tirer de la vie et des actions des combattants nationalistes (1ére partie).

1ère partie : Les enseignements sur la vie de Um Nyobè et de ses camarades.

Lorsqu’on évoque des héros, l’une des choses à laquelle on devrait penser pour la postérité, est de s’arrêter sur ses qualités qui doivent inspirer les générations actuelles et futures. Pour ce qui est de Um Nyobè et de ses camarades, on peut relever au moins trois: l’Union de la diversité, le sens du sacrifice et le courage de dire non.

1- le courage de dire non

Ruben Um Nyobè et ses camarades ont eu le courage de dire non à l’administration française mandatée par les Nations Unies pour conduire le pays vers l’autodétermination qu’on appelle encore l’indépendance.

Mais le système administratif français qui reposait sur l’assimilation, apparaissait clairement aux yeux de ces jeunes Camerounais, avides de libertés, comme une forme subtile d’appropriation du territoire camerounais. Um Nyobè et ses camarades se rendent compte en observant les déviances de cette administration que la question de l’autonomie ne semble pas inscrite à l’ordre du jour.

Il fallait donc se retrouver autour d’une organisation politique pour être en mesure de rappeler au mandataire français qu’il n’est qu’un gestionnaire provisoire et non l’administrateur légitime.Qu’il n’est qu’un usufruitier et non le propriétaire du territoire camerounais. Par la même occasion, Um Nyobè et ses camarades ont dû se rendre à l’Onu pour expliquer à l’instance qui a placé le Cameroun oriental sous mandat de la France, que les enfants mineurs sont déjà devenus majeurs voire adultes pour se prendre eux-mêmes en charge.

Dès lors, qu’ils peuvent se passer de la présence du tuteur. Um Nyobè et ses camarades savaient pertinemment depuis 1948, en créant l’Upc, qu’ils s’engageaient dans une initiative périlleuse. Mais ils ne se sont pas pour autant découragés. Ils ont affronté une administration française hostile, une reconnaissance éphémère de l’Upc suivie d’une interdiction sans explication de cette formation.

En optant de poursuivre la lutte dans le maquis, c’est à dire la clandestinité, Um Nyobè et ses camarades entendaient conserver un combat pour lequel ils savaient tous qu’il pouvait leur coûter la vie. Et cela fût chose faite. Et 13 septembre 1958 à Bouyembel dans la petite localité de Libel Li Ngoï une balle tirée du dos, ce qui est contraire aux conventions de guerre, ôta la vie au très vénérable Mpodol.

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A travers cette mort au combat, Um et ses autres camarades tombés comme lui, accomplissaient un engagement qui exprimait le sens élevé du sacrifice.

2- Le sens élevé du sacrifice

Dans ce monde où chacun fait d’abord passer son intérêt avant celui des autres, il est étonnant que Ruben Um Nyobè autant que ses camarades, aient accepté d’offrir leurs vies en holocauste pour que l’aboutissement du combat pour lequel ils se sont engagés, puisse profiter seulement à d’autres.

Ils savaient bien qu’ils mettaient leurs vies en danger. Lui, Um Nyobè, Ossendé Afana, Abel Kinguè, Félix Moumié, Ernest Ouandié et les autres.

Mais ils n’ont pas désisté.

Ils savaient que le combat pour lequel ils s’engageaient, ne leur garantissait aucun confort matériel, mais ils n’ont pas reculé.

Ils savaient que la lutte qu’ils ont engagé pour la libération du Cameroun contre un usufruitier décidé à devenir propriétaire, pouvait exposer ou mettre à mal leurs familles, mais ils n’ont pas hésité.

Leur engagement était désintéressé, catégorique et sans compromission.

Il importe que ces aspects soient relevés dans notre Cameroun d’aujourd’hui où l’engagement se conjugue à la seule condition d’intérêt et au nombre d’opportunités qu’il génère.

Mieux, combien d’entre nous Camerounais, sommes capables de nous engager au prix de nos vies pour une cause d’intérêt général ?

Combien d’entre nous, sommes capables de rester fidèles à nos engagements sans trahison ni compromission ?

Le tout n’est pas de commémorer la mort du Mpodol, mais c’est de se demander en quoi sa vie nous interpelle-t-elle?

Une bonne occasion pour chacun d’entre nous Camerounais qui jouissons aujourd’hui des fruits délicieux du combat de nos héros, de nous demander en quoi si nous sommes aussi capables de mettre nos intelligences, nos beautés, nos forces ou nos avoirs matériels et financiers pour l’intérêt de tous? Dans tous les cas, le succès du combat de Um Nyobè et de ses camarades a surtout bénéficié de leur capacité à réaliser l’Union de la diversité.

3- L’Union de la diversité

C’est l’un des facteurs déterminants du succès du combat nationaliste au Cameroun. Um Nyobè et ses camarades ont réussi la prouesse de fédérer toutes les populations camerounaises autour de la cause libératrice.

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Les Camerounais de toutes les ethnies ont accepté ce combat et de se mettre ensemble dans une seule organisation politique.

Plus encore, la configuration du bureau de l’Upc reflétait la prise en compte de cette diversité camerounaise. Cela s’est même aussi ressenti dans l’organisation des différents congrès de l’Upc. L’organisation était telle qu’il était impossible d’attribuer l’Upc à une seule ethnie.

Cela peut être présenté comme étant l’un des grands exploits de Um Nyobè et de ses camarades. Cette capacité à pouvoir regarder dans la même direction sans suspicion ni repli identitaire. Cela doit nous parler aujourd’hui dans nos différentes familles politiques et surtout au moment où l’idéal du vivre-ensemble a volé en éclat.

Le repli identitaire longtemps repoussé et domestiqué, a fini par forcer le passage pour se manifester sur la voie publique. Il nous importe à travers cette commémoration, de convoquer les témoins de l’histoire, c’est à dire les anciens combattants, s’il y en a qui sont encore en vie, pour nous relayer les secrets de leur prouesse à surmonter les velléités tribales.

En le faisant, nous aurons démontré notre part d’engagement à préserver l’héritage historique et politique du combat nationaliste upéciste.

2è partie: Le devoir d’engagement de la génération actuelle

Nous devons nous éviter de verser dans la commémoration formalitaire et opter plutôt pour une commémoration utilitaire. Celle pour laquelle nous posons des actes qui témoignent de notre engagement à inscrire dans la postérité la vie et les actions de nos héros.

Il s’agira à mon sens, de poser envers les familles de ces héros, des actes de manifestations de notre gratitude (2) mais avant d’oeuvrer pour la véritable réhabilitation de la mémoire de nos héros (1).

1- La réhabilitation véritable de la mémoire des héros

On en parle vaguement dans les cours d’histoire des classes primaires, en plus de quelques intellectuels et universitaires qui consacrent souvent des travaux de thèse en histoire en sciences politiques sur les héros de la résistance ou de la lutte pour l’indépendance.

Mais dans le quotidien des Camerounais, rien ni en termes de nom de rues, ni à travers des monuments, ne rappelle à la conscience collective, ce que ces vaillants Camerounais ont fait pour l’émancipation culturelle, économique et politique de notre pays.

Tout se passe comme si le Cameroun avait honte de ces héros. C’est peut-être pour cela que l’expression péjorative ” maquisards” a été conservée pour désigner ces combattants de l’indépendance du Cameroun. Ces mal aimés qui ne bénéficient d’aucune reconnaissance officielle.

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Ils nous revient donc si réellement nous voulons garder vivantes leur mémoire, de procéder à leur véritable réhabilitation.

Il s’agira concrètement d’instaurer deux journées de commémoration de nos héros. La première journée sera consacrée aux héros de la résistance. C’est-à-dire ceux qui ont opposé une résistance à l’administration allemande dans le cadre du protectorat. Ce sont des héros comme Rudolph Douala Manga Bell, Adolph Ngosso Din, Martin Samba, Charles Atangana, Le Sultan Njoya etc.

La deuxième journée de commémoration sera consacrée à nos héros pour l’accession à l’indépendance. En dehors de Um Nyobè et de ses camarades, on y adjoindra: les John Ngu Foncha, Tandem Muna, Chief Endeley etc.
Ces deux journées de commémoration devront être nationales et se dérouler sur l’ensemble du territoire les mêmes jours. A l’occasion, tous les Camerounais volontaires poseront des actes de gratitude à l’endroit des combattants encore en vie et à l’endroit des familles des héros.

2- Les actes de gratitude

Elles seront organisées au profit des anciens combattants encore en vie et à l’endroit des familles des héros. Il s’agit d’initier des opérations de donation volontaire de fonds sur l’ensemble du territoire nationale. Pour éviter des sensibilités, la tâche pourra être confiée à une équipe constituée de journalistes et d’huissiers de justice. Un compte sera indiqué et au cours d’une émission télévisée et en direct qui durera des heures, des Camerounais des quatre coins du pays enverront leurs contributions.

Les sommes receuillies serviront à apporter une assistance financière, matérielle et financière aux combattants upécistes encore en vie. Ce qui suppose qu’une opération nationale de recensement de ces derniers sera organisée sur l’ensemble du territoire. Des mesures seront prises pour les personnes recensées soient effectivement des combattants nationalistes.

Une autre partie de fonds collectés, ira à l’endroit des familles des héros qui croupissent dans une misère à pleurer. Un peu comme si époux ou parents avaient eu tort de s’engager pour la cause nationale. En leur témoignant ainsi la gratitude du peuple pour leur engagement héroïque. Nous témoignerons à travers ces actes que nous demeurons reconnaissants aux combattants pour les sacrifices consentis.

Ruben Um et ses camarades morts pour la cause nationale, demeurent en nous à travers le souvenir de cette commémoration qui mérite d’être repensée et revalorisée.

Source: Eyangoh Ekolle, journaliste et membre de l’association Sema Atkaptah (Action pour l’unité Africaine)

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