ANDREW MAGUIRE: L’ILLUSION DES URNES

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Jadis les dictateurs étaient des dictateurs et la démocratie était quelque chose d’autre. Aujourd’hui, les dictateurs se font passer pour des démocrates, en faisant usage des urnes comme symbole et outil par excellence de la démocratie pour soutenir les régimes corrompus et répressifs.

Tout récemment, deux cas patents ont fait l’actualité. Au Cameroun, en Afrique Centrale, le président Paul Biya, au pouvoir depuis plusieurs décennies, a succédé à lui-même, paraît-il, avec plus de 75% de voix. En Ukraine, les électeurs ont restreint le champ à l’occasion d’une élection présidentielle dont les résultats seront connus à l’issue d’un dernier tour dimanche prochain.

Dans les deux pays, la combinaison du fantasme et de la réalité offre un tableau choquant. Regarder les électeurs exercer leur droit de vote, observer le décompte des suffrages par des commissions de citoyens, tout cela semble rassurant. Si la démocratie ne tenait qu’au seul scrutin, l’Ukraine et le Cameroun seraient probablement classés parmi les pays démocratiques. Mais ils ne le sont pas.

Très rapidement, les démocraties occidentales se font complices de cette supercherie. En effet, l’Ukraine, le Cameroun et d’autres régimes semblables, usent de cette stabilité démocratique de façade pour obtenir l’aval de la communauté internationale, faire avancer leur diplomatie et manipuler les bailleurs de fonds internationaux. C’est ainsi que, en guise d’exemple, le Cameroun et ses dignitaires peuvent tirer d’énormes profits du nouveau pipe-line Tchad Cameroun, financé par la Banque Mondiale et les grandes compagnies pétrolières. Et, pendant que l’Occident se félicite de sa politique économique plutôt modérée, l’Ukraine a bradé les biens publics s’élevant à des millions de dollars pour la moitié du prix marchand, aux amis du président.

Selon les rapports du Secrétariat d’Etat américain, il va sans dire, qu’au Cameroun, le pouvoir ne réside qu’entre les mains du président et de ses proches. Biya gère le pays et l’économie à son propre gré. Lui seul nomme aux grands postes de responsabilité, tant au niveau central qu’au niveau des districts. Les principaux organes de presse, la radio et la télévision nationales sont sous contrôle étatique et pendant ce temps, les initiatives privées sont découragées ou marginalisées.
Le Parlement élu n’agit que sur ordre du président, alors que les magistrats font ce qui arrange le gouvernement.

Le président gère, à sa guise, les fonds de près de 100 sociétés, pour l’essentiel dans le portefeuille de l’Etat. Bien que le Cameroun compte 250 groupes ethniques, la plupart des grands postes de responsabilité reviennent aux Beti et aux Bulu.

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Les droits de l’homme et les libertés civiques ne reçoivent leur lettre de noblesse qu’à la convenance du régime, alors que les intimidations, les tracasseries, les arrestations et les détentions sans jugements et d’autres pires méthodes ont été utilisées par l’Etat et ses partisans.
Les mécanismes d’équilibre des pouvoirs sont inadéquats et le pouvoir de décision n’est pas partagé. Le recours contre l’injustice ou la fraude est rare ; Reporters sans frontières et Transparency International ont classé le Cameroun parmi les pays les plus répressifs et corrompus d’Afrique.

Biya est au pouvoir depuis 1982, et auparavant, il avait été Premier Ministre. En 1992, il s’est proclamé vainqueur d’une élection que les Etats-Unis et d’autres observateurs croyaient être gagnée par l’opposition. En 1996, un simulacre de Constitution a limité le mandat présidentiel à sept (07) ans, renouvelable une fois. Ainsi, Biya, qui avait déjà servi pendant trois (03) mandats de cinq (05) ans chacun, remporta l’année d’après l’élection sans bavure, les partis d’opposition ayant boycotté ce scrutin, arguant qu’il n’était pas libre et juste.
Au moment où le président entame son cinquième mandat, l’Assemblée bicamérale et ses conseils régionaux élus, créés à la faveur de la Constitution de 1996, ne sont pas toujours établis.

En quittant les affaires en 2011 – si jamais il le fait – Biya aura gouverné le Cameroun pendant trente-cinq (35) ans ! Selon les diplomates, il passe près de 80% de son temps à l’étranger. Il habite un palais magnifique, alors que les établissements scolaires publics tombent en ruine et les frais de scolarité, même médicaux, ne sont pas à la portée de plusieurs familles.

Aujourd’hui, l’Ukraine est prise en sandwich entre les velléités hégémoniques du président russe, Vladimir Poutine, et la possible admission de ce pays à l’OTAN et à l’Union Européenne. Au cours des derniers mois précédant les élections, les observateurs internationaux ont eu à observer un type d’intimidation et de manipulation encouragées par l’Etat, ainsi que la distribution des ressources publiques pour assurer le maintien en place d’un régime à tendances moscovites.

Néanmoins, le challenger, aux idées occidentales, Victor Iuschenko, devance largement le parti au pouvoir dans les sondages indépendants. Au premier tour de l’élection présidentielle le mois dernier, les officiels ont annoncé Iuschenko et le Premier ministre Victor Ianukovitch au coude à coude avec 40% de voix chacun. Cependant, les sondages ont aussi annoncé que les 2/3 d’Ukrainiens pensaient que les voix seraient votées, qu’un régime post-soviétique et une oligarchie à la russe feraient tout à cet effet.

La loi ukrainienne, garantissant les élections libres et justes, est ouvertement torpillée. Le dauphin soigneusement désigné du président Leonid Kuchma, fait accrocher les banderoles sur des édifices publics et réquisitionne le matériel de l’Etat, pourtant refusé à l’opposition. Les pouvoirs publics demandent aux agents de l’Etats de signer des pétitions afin d’atteindre les quotas de vote, sinon ils perdraient leur emploi. Des manifestants ont manigancé un vol de votes lors des élections municipales, mais l’affaire est restée sans suite.

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Toutes les grandes chaînes de télévision et de radio, étant sous le contrôle d’une élite puissante ou du régime, Ianukovitch a une mainmise sur les média. Les organes de presses privés ont été interdits. Les événements à couvrir sont quotidiennement choisis, à l’intention des organes de presse, et il leur est rappelé l’orientation de l’information. Il arrive qu’un détracteur du régime soit porté disparu ou déclaré mort. Après avoir été reçu à dîner par le chef de la police secrète, le candidat Iuschenko a dû se faire évacuer en Autriche pour des soins médicaux, suite à un empoisonnement biologique ou chimique qui avait failli l’emporter.

Des opposants ne sont pas autorisés à occuper des espaces de campagne sur les murs des bâtiments, les propriétaires de ceux-ci étant torturés par les services d’impôts. Les meetings politiques sont perturbés par l’arrivée fortuite du matériel de construction des pannes d’électricité ou l’annulation des services de transport par bus. L’avion d’Iuschenko a été interdit d’atterrissage dans plusieurs villes.

La police empêche les sympathisants de l’opposition de circuler librement. Les bureaux des organisations non gouvernementales font l’objet de perquisitions et celles-ci sont fichées par les services de sécurité.

Bien qu’il existe une commission centrale des élections autorisée par la loi de superviser les élections, et de réprimer les abus, le scrutin est organisé et géré par le gouvernement, comme c’est le cas avec l’Observatoire National des Elections au Cameroun. De temps à autre, l’Assemblée ukrainienne ou un tribunal peut limiter les pratiques grotesques comme l’installation de 420 bureaux de vote en Russie ; mais c’est des cas plutôt rares.

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Simulacre de démocratie
Le jour du scrutin en Ukraine et au Cameroun, d’innombrables citoyens n’ont pas vu leurs noms sur les listes électorales.

La plupart de ces listes n’étaient pas publiées à l’avance, pour permettre aux partis de l’opposition et aux inscrits de faire des réclamations. Le jour du scrutin, il n’était plus possible d’ajouter des noms omis par inadvertance ou même délibérément par la commission des listes électorales. Alors que ceux qui ont voté l’ont fait librement, seulement la moitié des potentiels électeurs au Cameroun ont réussi à se faire inscrire, et nombre d’Ukrainiens, qui avaient le désir de voter, se sont vus frustrés de ce droit.

Que ce soit en Ukraine ou au Cameroun, n’est-ce pas le lieu de dire que le processus démocratique n’est en marche qu’au moment du scrutin et du décompte des voix ?

La démocratie requiert à coup sûr la liberté d’expression et de presse ; la liberté de libre association ; l’équilibre des pouvoirs avec un pouvoir judiciaire indépendant ; une fonction publique professionnelle ; des autorités locales responsables devant le peuple ; la primauté du droit garante des droits de la personne et qui protège les fonds publics de la corruption généralisée ; et le respect des droits de l’homme, y compris l’absence d’intimidations, d’arrestations et de détentions arbitraires, de tortures et de décisions extra-juridictionnelles. Même si l’on peut observer une lueur d’ouverture dans les deux pays, hormis le processus électoral, ni l’Ukraine, ni le Cameroun ne peuvent encore être considérés comme des nations démocratiques acceptées comme telles par la communauté internationale.

A l’occasion du scrutin de dimanche prochain en Ukraine, nous devons faire attention à la façon de rapporter les faits qui y seront observés, ainsi que dans d’autres pays très médiocres comme le Cameroun. Une autre forme de simulacre de démocratie est désormais en marche. En effet, l’on veut voir le vote et le décompte de voix se dérouler, mais ne pas voir la dictature – en réalité la kleptocratie – s’agripper au pouvoir

PAR ANDREW MAGUIRE
Ancien membre du congrès de New Jersey qui a pris part aux missions d’observation des élections présidentielles de 2004 au Cameroun et en Ukraine.

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