UNE TOURNURE TRAGIQUE:VIOLENCE ET ATTEINTES AUX DROITS HUMAINS DANS LES RÉGIONS ANGLOPHONES DU CAMEROUN

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Amnesty International est un mouvement mondial réunissant plus de sept millions de personnes qui agissent pour que les droits fondamentaux de chaque individu soient respectés. La vision d’Amnesty International est celle d’un monde où chacun peut se prévaloir de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans d’autres textes internationaux relatifs aux droits humains.

Essentiellement financée par ses membres et les dons de particuliers, Amnesty International est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute puissance économique et de tout groupement religieux.

Depuis la fin de l’année 2016, les régions anglophones du Cameroun – dont les griefs remontent au début
des années 1960 – ont connu des troubles et des manifestations de violence qui ont abouti à la crise
actuelle des droits humains. En octobre et novembre 2016, des groupes comprenant des enseignants,
des avocats et des étudiants ont organisé des manifestations et des grèves pour protester contre ce
qu’ils considéraient comme une marginalisation croissante de la minorité anglophone.

Des avocats sont descendus dans la rue pour exiger la traduction en anglais des textes juridiques et ont protesté contre la nomination de juges francophones qui ne connaissaient pas le système de la Common Law. Les enseignants se sont mis en grève pour condamner la nomination de personnels francophones dans les écoles et les universités. Des milliers de personnes, dont des étudiants, se sont joints à ces manifestations en guise de solidarité et pour dénoncer d’autres injustices.

Bien que dans la plupart des cas elles aient été pacifiques, hormis quelques exceptions, ces premières
manifestations ont fait l’objet d’une répression féroce et soutenue de la part des autorités et des forces de
sécurité camerounaises. Des centaines de personnes, et notamment des défenseur-e-s des droits humains,
des journalistes et des militant-e-s ont été arrêté-e-s par les forces de sécurité. Les autorités ont interdit des
organisations de la société civile, suspendu Internet et coupé les lignes téléphoniques pendant environ six
mois, au cours de l’année 2017. Les forces de sécurité se sont rendues coupables de l’homicide d’au moins
10 manifestant-e-s pacifiques entre octobre 2016 et février 2017. Des groupes de militant-e-s anglophones
ont répondu par des stratégies de désobéissance civile, en organisant entre autres le boycott d’écoles et des
opérations « ville morte ».

Vers la fin de l’année 2017, la situation s’est rapidement détériorée. En octobre, des manifestations
organisées dans les régions anglophones pour célébrer l’indépendance symbolique vis-à-vis des régions
francophones du pays, se sont heurtées à un usage illégal et excessif de la force. Les forces de sécurité
camerounaises ont abattu 20 manifestant-e-s pacifiques en tirant indistinctement sur des foules, notamment
depuis des hélicoptères. Des dizaines de manifestant-e-s blessé-e-s ont fui les hôpitaux en cours de
traitement par peur d’être arrêté-e-s.

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Des centaines de personnes ont été arrêtées et des milliers ont fui leur foyer, devenant ainsi des populations déplacées à l’intérieur du pays ou des réfugiés au Nigeria. En même temps, les voix modérées ont commencé à s’éclipser à mesure que des groupes séparatistes armés, qui appelaient à la sécession et prônaient la lutte armée, gagnaient en visibilité et en soutien. Ils se sont lancés dans des attaques violentes contre les forces de sécurité camerounaises et les symboles de l’État, et ont également commis de graves actes de violence ayant sévèrement affecté la population.

Les séparatistes armés ont attaqué des forces de sécurité, en particulier les gendarmes et la police, tuant
au moins 44 d’entre eux entre septembre 2017 et mai 2018, dans les régions du Nord- Ouest et du SudOuest.

Dans l’une des attaques , qui a eu lieu le 1er février 2018 dans la localité de Mbingo (Nord-Ouest)
deux gendarmes en service à un poste de contrôle ont été poignardés à mort par un groupe de jeunes
séparatistes armés.

Les séparatistes s’en sont également pris à la population. Des enseignants et des étudiants, accusés de ne
pas avoir participé au boycott, ont été agressés physiquement et au moins 42 écoles ont été attaquées par
des séparatistes armés de février 2017 à mai 2018, dans les régions du Nord et du Sud-Ouest. Amnesty
International a notamment recensé les cas dedeux écoles en grande partie détruites à la suite d’incendies
volontaires dans la ville de Menji, ainsi que des attaques armées visant des enseignants dans les villes de
Ntungfe et de Njinikejem, respectivement en janvier et février 2018.

Par ailleurs, des séparatistes armés ont attaqué des personnesy compris des chefs coutumiers soupçonnés
d’être des informateurs des forces de sécurité camerounaises. Amnesty International a répertorié au moins
trois cas d’incendies criminels, notamment celui de la résidence d’un chef coutumier dans le village de
Myerem dans la région du Sud-Ouest,en février 2018.

L’augmentation du nombre de ces violences commises par les séparatistes armés à la fin de 2017 a coïncidé
avec la militarisation des régions anglophones, la création d’une nouvelle 5e région militaire, dont ses
quartiers généraux se trouvent à Bamenda, et le lancement par l’armée d’opérations de sécurité de grande
envergure dans certaines régions du Nord et du Sud-Ouest.

Le 1er décembre 2017, l’officier divisionnaire supérieur du département de la Manyu, dans la région du Sud-Ouest, a publié un communiqué ordonnant aux habitants de 15 villages de la région de « déménager dans des quartiers plus sûrs de leur choix dans les heures qui suivent, faute de quoi ils seront considérés comme complices ou auteurs des actes criminels en cours recensés visant les forces de sécurité et de défense ».

Avant que ce communiqué ne soit retiré le jour suivant, les habitants des villages cités avaient déjà fui. Lorsque les forces de sécurité sont entrées dans certains de ces villages, elles ont fait un usage excessif de la force pour repérer et arrêter ceux qui y étaient restés.

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Ce rapport a été rédigé à partir d’entretiens réalisés, entre janvier et mai 2018, auprès de plus de
150 victimes et témoins oculaires de violations des droits humains par les forces de sécurité et des violences
par les séparatistes armés, ainsi que des familles de ces victimes de violations des droits humains et d’abus.
Il montre que les forces de sécurité camerounaises ont commis des violations des droits humains, dont des
homicides illégaux, des exécutions extrajudiciaires, des destructions de bien, des arrestations arbitraires
et des actes de torture durant des opérations militaires. Dans un cas mentionné dans ce rapport, des
membres du Bataillon d’intervention rapide et de l’armée régulière ont abattu de façon illégale au moins
quatre hommes non armés au cours d’une opération dans le village de Dadi, en décembre 2017. Dans un
autre cas, datant également de décembre 2017, les mêmes forces ont abattu trois hommes non armés dans
le village de Kajifu.

Des preuves sous forme d’images satellites et de photographies obtenues par Amnesty International et
présentées dans ce rapport montrent également la destruction complète du village de Kwakwa, dans
la région du Sud-Ouest,qui a été réduit en cendres par les forces de sécurité camerounaises lors d’une
opération menée en décembre 2017 après que deux gendarmes ont été tués par des séparatistes
armés présumés.

Le rapport souligne également que, dans certains cas, les forces de sécurité ont arrêté des personnes
pendant ces opérations et les ont torturées. Ainsi, au moins 23 personnes, dont desmineur-e-s, et
notamment deux hommes handicapés mentaux, ont été arrêtées par les forces de sécurité à Dadi le 13
décembre 2017, avant d’ être ensuite conduites à la salle communale où elles ont été détenues au secret et
torturées pendant trois jours. Les victimes ont déclaré avoir eu les yeux bandés et avoir été rouées de coups
avec des objets tels que des bâtons, des cordes, des câbles, des fusils. Elles ont aussi été électrocutées et
ébouillantées. Certaines ont été battues jusqu’à perdre connaissance, et Amnesty International a établi qu’au
moins l’une d’entre elles est morte à la prison centrale de Buéa, où les personnes arrêtées à Dadi avaient
finalement été transférées.

À la suite de ces opérations de sécurité, et la conséquente violence plus de 150 000 personnes ont été
déplacées à l’intérieur du pays et plus de 20 000 ont fui vers le Nigeria, où elles vivent dans des endroits
réculés et nécessitant une aide humanitaire.

Les forces de sécurité camerounaises sont depuis longtemps réputées pour leurs pratiques violentes,
tant dans les régions anglophones que dans d’autres parties du pays. Amnesty International a recueilli
des informations sur de nombreux cas dans l’Extrême-Nord où les forces de sécurité ont arbitrairement
tué ou arrêté des civils soupçonnés de soutenir Boko Haram, et ont largement recouru à la détention au
secret et à la torture, y compris des lieux de détention illégaux tels que les bases militaires et les locaux
des services de renseignement. L’impunité avec laquelle de tels actes ont été commis dans la région de
l’Extrême-Nord les a peut-être encouragés de façon significative à perpétrer des violations similaires dans les
régions anglophones.

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Loin de résoudre la crise, la répression de toute forme de contestation et les réactions musclées des autorités
camerounaises et des forces de sécurité semblent avoir renforcé et créé un espace favorable à l’émergence
de nouveaux mouvements plus radicaux et violents qui se revendiquent de la sécession et de la lutte armée.

Les violations des droits humains commises par les forces de sécurité et les autorités camerounaises ont
également contribué à créer un climat de peur généralisé qui, selon certains observateurs, a conduit à un
sentiment d’aliénation croissant parmi les communautés dans les régions anglophones .

Le Cameroun a le droit et l’obligation de mener des opérations de maintien de l’ordre et de sécurité dans
n’importe quelle partie de son territoire afin d’identifier et d’arrêter des criminels présumés, de saisir des
armes illégales et de protéger la population.

Cependant, comme l’illustrent les cas répertoriés dans ce
rapport, ces forces de sécurité n’ont pas respecté leurs obligations, comme le stipule le droit international
relatif aux droits humains, de n’utiliser la force légale et nécessaire, et en particulier une force létale
potentielle , qu’en cas de défense immédiate du droit à la vie et pour respecter et protéger d’autres droits
humains. Du fait que ces forces ne sont pas soumises à l’obligation de rendre des comptes, les victimes etleurs familles auront aussi peu de chances de bénéficier de réparations.

Les violations des droits humains doivent cesser. Les attaques contre les fonctionnaires, les forces de
sécurité et les citoyens ordinaires sont des crimes graves. Le Cameroun a le devoir d’enquêter sur de
tels crimes et d’en poursuivre les responsables en justice tout en respectant les lois camerounaises et
internationales relatives aux droits humains. Parallèlement, le gouvernement camerounais doit prendre
les mesures légales pour s’assurer que tous ceux qui ont commis des crimes et des violations des droits
humains aient à répondre de leurs actes.

Ce rapport recommande aux autorités camerounaises de prendre des mesures pour éviter un usage excessif
et injustifié de la force, mettre fin aux arrestations et détentions arbitraires, empêcher les morts en détention
ainsi que la torture et autres mauvais traitements, garantir l’obligation de rendre des comptes et offrir des
recours effectifs aux victimes des violations des droits humains.

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