Ail noir, ail d’or

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Trésor d’Asie, coqueluche des grands chefs du globe, l’ail noir débarque enfin au Québec. Or, non seulement peut-on s’en procurer plus facilement qu’avant, mais il est désormais produit ici. Un filon alléchant pour les producteurs et les consommateurs.

Un ail tendance… maintenant d’ici

C’est noir. Et tout ratatiné. Ce que Denis Dalpé tient dans sa main, notre cerveau reptilien nous dicte de le balancer à la poubelle sans hésiter. On dirait un vieux raisin tout pourri. Avarié. Et pourtant, cette pépite, elle vaut de l’or: c’est le dernier aliment tendance qui débarquera bientôt dans votre assiette, produit au Québec en prime: de l’ail noir.

C’est au Japon que l’on attribue la paternité de l’ail noir, qui n’est pas une nouvelle variété du légume, mais plutôt le résultat d’un long processus de maturation de banales gousses d’ail blanc. De fait, on a découvert, il y a une vingtaine d’années, qu’après 30 jours dans une étuveuse, la chair des gousses devient couleur charbon, brillante, caramélisée.

En bouche, sa texture est moelleuse, comme les jujubes d’enfance ou un abricot séché; son goût rappelle la figue confite ou un sirop de vinaigre balsamique: cet ail noir fait partie de la catégorie des aliments dits «umami», offrant cette cinquième saveur dont les papilles raffolent tant. Et pour le portefeuille, il se rapproche de la truffe, avec un prix de détail variant entre 60 et 120 $ le kilo, de deux à quatre fois plus cher que l’ail blanc, donc.

 

Denis Dalpé et son frère Jacques sont parmi les premiers, sinon les premiers à produire de l’ail noir au Québec (l’Association des producteurs d’ail de la province ne recense que deux producteurs d’ail noir au Québec: la ferme Dailpé de Jacques et Denis, et l’Ail de l’île, à l’île d’Orléans). Denis en a entendu parler pour la première fois en 2015, alors qu’il venait à peine de se lancer dans la culture de l’ail – réalisant ainsi un rêve d’enfance de s’établir à la campagne, après une vie passée le nez dans les raffineries de Pointe-aux-Trembles.

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Le hasard a voulu qu’il se retrouve à la tête de l’association Ail Québec un an plus tard. «J’ai tout appris à la vitesse grand V: il fallait que je réponde bien à mes 150 membres!», lance-t-il, debout dans son champ de Hemmingford. Autodidacte chevronné, il s’est mis à la permaculture – il n’utilise aucun intrant chimique, et pour seul engrais, il se tourne vers du fumier de poules d’élevage biologique.

Puis, c’est en faisant ses recherches qu’il est tombé sur le cas de l’ail noir. Maître en «patentes et autres machines bidouillées», il n’a pas mis de temps à trouver «sa» recette pour le produire, d’abord dans un vieux four bricolé par ses soins, puis dans un réfrigérateur à bières de dépanneur, qu’il refusera que le photographe mitraille. C’est que, même si une recherche sur l’internet permet en un rien de temps de découvrir 1001 recettes d’ail noir, n’y parvient pas qui veut, et celui qui y arrive ne dévoilera pas son secret facilement. «J’ai essayé plusieurs fois, mais ça ne marche pas», avoue d’ailleurs Serge Pageau, président d’Ail Québec. Enfin, pas encore, ajoutera-t-il.

La chance – et la technique – a été plus favorable à un autre trio d’entrepreneurs-éleveurs-cultivateurs-foodies de l’île d’Orléans (Jean-François Émond, Matthew Leblanc et Robert Duplain) qui réussit à transformer l’ail blanc en noir depuis une dizaine de mois maintenant. Avec un succès certain. L’ail de l’île est distribué dans quelques restaurants de renom de Québec (l’Initiale, Chez Boulay bistro boréal, La traite) et, bientôt, on la trrouvera dans les supermarchés IGA. La production devrait atteindre les 30 tonnes cette année, avec le bricolage d’une nouvelle étuveuse format géant (là encore, on garde le secret aussi précieusement que celui de la Caramilk!).

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L’ail utilisé proviendra de champs de l’île, dans la mesure du possible, mais toujours du Québec, promet-on. Le trio vise gros. «On songe à l’exportation», confirme Jean-François Émond. Puis à des produits dérivés, comme une moutarde à l’ail noir, ou un pesto, de concert avec une autre entreprise québécoise bien établie. «L’ail québécois est excellent, nous avons la chance d’avoir une excellente matière première, ici, pour faire de l’ail noir.»

Délice en cuisine

 

La popularité de l’ail noir tient en partie aux vertus qu’on lui attribue pour la santé. Si la consommation régulière d’ail frais a été associée par plusieurs recherches crédibles à une réduction de certains cancers, d’aucuns affirment que sa transformation décuplerait ses mérites.

Le professeur Richard Béliveau, directeur scientifique de la Chaire en prévention et traitement du cancer de l’Université du Québec à Montréal, est plus nuancé.

«Ce sont deux produits différents qui ont chacun leurs avantages. Les études moléculaires et cellulaires montrent que les propriétés antioxydantes sont plus importantes dans l’ail noir que dans l’ail blanc.»

En revanche, les propriétés anti-inflammatoires et anti-coagulantes de l’ail noir seraient plus faibles. De plus, il n’existe pas encore d’études longitudinales aussi importantes pour l’ail noir que pour le blanc, puisqu’il s’agit d’un aliment relativement nouveau.

On s’en tiendra donc surtout à vanter ses vertus gustatives, ce qui est non négligeable, note le Dr Béliveau, qui a découvert le produit lors d’un voyage au Japon. «Je ne pensais pas en retrouver au Québec, encore moins produit ici! C’est une belle nouvelle, tout ce qui peut encourager les gens à cuisiner davantage de légumes est positif.»

L’ail noir s’utilise surtout en finale, pour relever un plat, comme la truffe, mais avec un parfum moins puissant et persistant.

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Chez la famille Dalpé, on aime le mixer avec du fromage et le tartiner sur des craquelins. À Québec, des chefs l’ont inclus dans une préparation à brownies (La Charpente), puis dans une mayonnaise pour accompagner des frites fraîches (La Roulotte du COIN). Au restaurant Tandem, dans Villeray, le chef en fait une sauce pour accompagner le médaillon de cerf, un classique du menu. «Pensez à en mettre là où vous auriez mis du vinaigre balsamique», explique Jean-François Émond.

Bref, pour les plats des grands soirs comme pour le plat de pâtes du lundi, les perspectives sont multiples. Ce qui explique assurément une partie de l’engouement des entrepreneurs et des foodies.

En acheter

 

– L’ail de l’île: 120 $/kg, plusieurs points de vente

– Les frères Dailpé: 60 $/kg

L’ail québécois en chiffres

413 000: Nombre de résultats à la recherche «recette pour faire de l’ail noir» dans le moteur Google. La perfection semble toutefois difficile à atteindre et les résultats – photos à l’appui – souvent discutables.

Music: On compte plus d’une centaine de variétés différentes d’ail. La Music est la plus cultivée au Québec et est réputée pour ses caïeux (gousses) dodus et juteux.

15 %: De 10 à 15 % de l’ail consommé au Québec est produit localement. «Nous avons un beau problème: nous ne suffisons pas à la demande», dit Serge Pageau.

16: Le Jardin botanique de Montréal accueillera le 16 septembre La Fête de l’ail, où se réuniront plusieurs producteurs et transformateurs.

18 ºC: L’ail se conserve idéalement dans un endroit frais, à une température de 15 à 18 ºC, dans un sac en papier troué, permettant une circulation d’air. On évitera le réfrigérateur, qui le fera germer, sauf s’il s’agit d’ail frais ou de fleur d’ail.

VIOLAINE BALLIVY
La Presse

http://www.lapresse.ca/vivre/gourmand/cuisine/201709/13/01-5132892-ail-noir-ail-dor.php

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