Mauvais citoyen, au feu !

Depuis la veille de l’élection présidentielle, le débat public est charançonné par une intolérance sans doute inédite au Cameroun. La dernière actualité en rapport avec le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc) nous conforte davantage dans la thèse selon laquelle la juste mesure est désormais la chose la moins partagée dans l’espace public. Il faut choisir son camp, un point, un trait. Tel semble être le mot d’ordre qui transparaît des échanges sur les plateaux de radios et télévisions de la place et sur les réseaux sociaux.

Condamnez uniquement les bavures des forces de l’ordre au cours des « marches blanches » à Douala, vous êtes du bon côté de l’Histoire. Condamnez également le saccage de certaines ambassades du Cameroun en Europe par la Brigade anti-sardinards (Bas), mollement sinon botté en touche par certains objecteurs de conscience, et vous êtes à côté de la plaque !

Dénoncez les interdictions quasi-systématiques des manifestations et réunions publiques de l’opposition, porteuses de surchauffe sociale, vous faites la courte échelle à Kamto. Dénoncez la dérive ethno-tribale portée par des individus aisément identifiables sur les réseaux sociaux, vous voulez exclure ou maintenir un groupe au pouvoir.

Remettez en cause le verdict du Conseil constitutionnel à l’issue de la présidentielle 2018, vous vous verrez tresser des couronnes dignes de célèbres rois. Dites que cette élection est derrière nous et qu’il est temps de passer à autre chose, mauvais citoyen, au feu ! La sentence tombe tel un couperet.

Ce manichéisme triomphant nous rappelle cette saillie de George W. Bush au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001, au plus fort de sa croisade contre l’Irak, alors accusée d’abriter des armes de destruction massive. « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous », avait déclaré l’ancien président américain.

Aujourd’hui, certains esprits retors tendent à scinder le Cameroun entre l’axe du Bien et l’axe du Mal. Ces ultras oublient ou s’abstiennent de poser les vrais diagnostics et d’envisager les actions et les solutions qui en découlent.

Une constante qui pourrait aider à la réflexion stratégique. Dans leur grande majorité (cela ne procède pas d’un sondage, mais d’une observation empirique), les Camerounais aspirent à un mieux-être et souhaitent que leur pays change, en bien. Un air de « dégagisme » flotte dans l’air. En chœur, le peuple semble même s’approprier cette assertion : « sortons les sortants ».

Les « aspirants » doivent être portés par le souffle de cette majorité silencieuse qui appelle au changement, en privilégiant la modalité pacifique et démocratique. Ils doivent donc s’appliquer à rassembler, à fédérer, du moins à travailler patiemment pour incarner le consensus national.

« Le septennat qui vient de commencer devrait être décisif pour notre pays. Il pourrait même être l’un des moments les plus importants de notre histoire depuis notre indépendance ». Le message subliminal qu’on peut déceler de ce propos du chef de l’Etat à l’entame de son message du nouvel an 2019 à la nation résonne, toutes proportions gardées, comme celui contenu dans la fable « Le laboureur et ses enfants ». Les « prétendants» doivent s’en saisir et se garder de vendre l’héritage de paix et d’unité nationale qu’ont laissé les père-fondateurs du Cameroun. Il s’agit plutôt de le renforcer pour en faire un « fonds de commerce » politique.


Par Georges Alain Boyomo

Edito dans Mutations du 4 février 2019

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