Maltraitance des Africains en pays étrangers : À qui la faute ?

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Dans une correspondance de Canton, Chine, en date du 13 avril 2020 parvenue à RFI (Radio France Internationale), son envoyé spécial écrit:

Dans la ville de Canton, au sud de la Chine, la communauté africaine est victime d’un traitement ciblé de la part des autorités locales. Ces derniers jours, de nombreux ressortissants africains affirment avoir été mis à la porte de leur domicile ou refoulés des hôtels, soupçonnés d’être porteurs du Covid-19. D’autres ont été placés à l’isolement malgré des tests négatifs et alors même qu’ils n’ont pas quitté la mégalopole depuis plusieurs mois.

Ces pratiques racistes ont attiré l’attention des pays africains qui demandent des comptes à Pékin. La municipalité de Canton, où sont recensés quelque 4 000 citoyens africains regroupés dans le quartier « Little Africa », réfute les accusations de racisme et indique que tous les étrangers sont traités de la même manière[1]. (1)

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Soulignons-le : « des pays africains […] demandent des comptes à Pékin ». Les choses sont peut-être en train de changer. Mais avouons que c’est l’une des rares fois où la diplomatie africaine vole au secours de ses ressortissants ainsi maltraités dans un pays étranger. Ceci est d’autant plus surprenant qu’on a l’habitude d’assister à l’intérieur même du continent à des espèces de pogroms dans les pays “frères” comme cela s’est vu en Afrique du Sud il n’y a pas si longtemps, au Gabon, en Côte d’Ivoire, en Guinée Équatoriale et que sais-je encore! Il est vrai qu’en cette matière, il faut faire montre de prudence tant le langage diplomatique semble recourir à des nuances inaccessibles au commun des mortels. Saurons-nous jamais en quels termes les pays africains ont demandé des comptes à la Chine ? Reconnaissons cependant que certains pays africains se singularisent et veillent à ne jamais abandonner leurs ressortissants en danger dans un pays étranger. Pour ne parler que des pays francophones, on sait que le Mali et le Sénégal par exemple veillent à ce que leurs ressortissants essaimés en diaspora et surtout en Europe ne soient jamais trop martyrisés avant que le pays ne vole à leur secours.

On pourrait difficilement en dire pareillement du Cameroun. Nos diverses représentations diplomatiques ne semblent jamais avoir été que des cellules de renseignements, voire de répression. Tout semble partir du contexte dans lequel l’indépendance nous a été octroyée. La plupart des leaders de la lutte de libération ayant dû s’exiler dans des pays étrangers, autant africains qu’européens, tout Camerounais installé en diaspora sans l’aval du pouvoir postcolonial pouvait être suspecté de faire partie du réseau de l’expédition de séditieux que l’UPC (Union des Populations du Cameroun) avait dispatchée un peu partout dans le monde pour préparer la relève. Par la suite, même certains jeunes gens envoyés par le pays pour des études en métropole pouvaient se faire prendre dans des réseaux militants que les alliés du parti anticolonial avaient installés dans divers campus métropolitains pour préparer la construction du futur pays.

Voilà sans doute qui explique pourquoi dès le départ, nos ambassades se sont présentées comme des bastions refermés sur eux-mêmes, tournant pour ainsi dire le dos à tout ressortissant camerounais en séjour dans un pays étranger.

Pour avoir été victime des agents de nos représentations diplomatiques et consulaires pendant mon relatif long séjour à l’étranger, je crois pouvoir témoigner de la désinvolture de leur personnel. Lorsque naît un de mes enfants en France au début des années 1970, je me dis que lui faire établir un acte de naissance camerounais devrait aller de soi. Je monte alors un dossier conséquent et le transmets au Consulat du Cameroun à Paris. Sans suite. À l’occasion d’un voyage à Paris, je me présente tout penaud à l’ambassade pour “suivre” le dossier. On me fait tourner en bourrique.

Lorsque je m’en inquiète auprès d’autres compatriotes installés à Paris, on m’apprend alors qu’il y aurait au consulat un trafic mafieux d’actes de naissance camerounais. On se souviendra qu’à l’époque, les Camerounais n’avaient besoin ni de visa, ni de carte de séjour pour vivre et travailler en France. Qui plus est; toute famille camerounaise installée sur le territoire de l’ancien colonisateur bénéficiait automatiquement des allocations familiales.

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Les amis parisiens m’apprirent alors que le personnel de l’ambassade délivrait des actes de naissance fictifs à leurs réseaux de relation pour truander la caisse française des allocations familiales. Il fallait donc que je comprenne que le personnel du consulat n’avait aucun intérêt à gâcher un précieux imprimé pour établir au profit de mon enfant né en France, donc titulaire d’un acte de naissance français, un autre acte de naissance, camerounais, celui-là. Je compris ainsi que, tout naïvement, j’étais en train de leur demander de créer délibérément un manque à gagner dans leur juteux business.

L’affaire de l’acte de naissance ou de documents divers n’est pourtant que l’arbre qui cache la forêt. Les ambassades du Cameroun en Occident pour me limiter à ces exemples-là, n’ont pas l’habitude, pour toutes sortes de raisons, de recruter du personnel originaire des pays où elles sont  accréditées. Le plus souvent, son personnel est un ramassis d’agents généralement issus des réseaux inavouables (familial, villageois, etc.) qu’on importe du pays et qui bénéficient des avantages de toute nature du fait de leur expatriation.

Très souvent, la présence de l’un ou l’autre à l’ambassade est une opportunité unique et l’occasion idéale de changer de vie. Voilà pourquoi le job au sein de l’ambassade n’est souvent qu’un prétexte pour résider en pays de cocagne et travailler à changer son destin individuel. C’est donc dire qu’à cette époque-là – mais je doute que les choses aient tellement changé – le personnel de nos ambassades qu’on pouvait admirer du fait qu’il occupait une position privilégiée eu égard aux avantages afférents à son statut, vivait cependant un drame intérieur. Nombre d’entre eux désiraient, en toute légitimité, évoluer librement dans les sociétés occidentales pour étudier, apprendre un métier pour un avenir meilleur. Autant dire qu’en dépit de la précarité de la vie d’étudiants qui était la nôtre, nous faisions secrètement l’objet d’une certaine envie. On sait qu’avec le temps, nombre d’anciens étudiants se sont d’ailleurs installés en métropole avec des fortunes diverses. 

Mais tout se passe comme si le curseur de la relation entre le personnel de l’ambassade et les immigrés camerounais était coincée sur le mode aigre/doux. L’ambassade s’est en quelque sorte résolue à ne fournir qu’un service minimum, souvent de mauvaise grâce, aux Camerounais qui frappent à ses portes. Ainsi en va-t-il des demandes de renouvellement de passeport ou de tout autre document consulaire. Aussi n’est-il pas rare de voir des Camerounais d’Europe ou d’Amérique du Nord faire un aller/retour au pays natal, juste le temps de se faire renouveler leurs passeports, tellement les canaux des ambassades sont devenus insondables. Jusqu’à une date récente, on avait cru que le service des visas trouvait son compte dans les frais exorbitants que nos divers consulats à l’étranger réclament aux uns et aux autres pour la délivrance du précieux sésame. Mais du fait que, par pragmatisme ou par nécessité, de nombreux Camerounais choisissent désormais les citoyennetés de leur pays d’immigration, les consulats du Cameroun semblent s’être donné le mot pour les tracasser à l’infini, en leur exigeant par exemple de remettre au consulat tout document de voyage camerounais en leur possession. Il y a là des relents d’une jalousie qui se transforme en répression et dont on peut se demander qui en est véritablement le commanditaire.

Comme on le sait, nous sommes déjà habitués à un système vexatoire à l’intérieur de nos frontières. On se rend compte que les services consulaires chargés de voler éventuellement à notre secours en terre étrangère ont un regard plutôt suspicieux sur notre présence dans les pays étrangers. Pour le régime, la diaspora, jusqu’à preuve du contraire, est nécessairement suspecte. Poser alors la question de savoir pourquoi le Négro-Africain en général et le Camerounais en particulier est méprisé un peu partout dans les autres pays de la planète revient essentiellement à s’interroger sur les considérations que nous avons pour nous-mêmes à l’intérieur de nos frontières.

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Tel quel, force est de constater que depuis notre accès à la souveraineté, nous n’avons à aucun moment, été un modèle dans le respect des droits et des libertés de nos compatriotes. Après l’avilissante période coloniale, nous avons hérité d’un État d’exception. Sous prétexte de combattre la rébellion upéciste, l’Ordonnance no 62/OF/18 du 12 mars 1962 portant répression de la subversion met toutes les libertés en berne. Pendant tout le règne du premier Président du Cameroun, nous avions été traités, au niveau des droits individuels comme un simple troupeau, pour le berger descendu du nord. Pareille perception s’observait dans la manière dont son régime traitait les contestataires ou les potentiels opposants. Il n’hésitait point à les faire torturer et à les enfermer, souvent sans jugement dans des centres de rééducation qui étaient en réalité de véritables camps de concentration. Cette période culmine avec les procès expéditifs de Ouandié-Ndongmo au tribunal militaire de Yaoundé et l’exécution publique d’Ernest Ouandié et ses compagnons en janvier 1971 à Bafoussam. Comment imaginer que le leader d’un pays sans droit puisse revendiquer pour ses ressortissants vivant en pays étranger un traitement tellement différent de celui qu’il n’a jamais lui-même offert et qu’il n’est pas prêt à leur offrir ? Bien plus ; un individu qui est né et a grandi dans un régime essentiellement répressif peut-il avoir le courage de revendiquer un traitement différent sous d’autres cieux ? Voilà pourquoi il est important, si l’on veut être respecté, de commencer par se respecter soi-même et de respecter son semblable surtout lorsqu’on est responsable. Mais qu’on s’entende bien : il ne s’agit point de tolérer la maltraitance des Africains ou de suggérer que les brimades dont  nous sommes victimes ici ou là sont de l’ordre du normal. Mais si nous devons être crédibles et donner du sens à nos voix ou à nos revendications, ne faut-il pas d’abord commencer par balayer le seuil de notre porte ?

Nous avions cru en être arrivés justement au point où nous avions pris conscience de la nécessite de nous construire une nouvelle identité, non seulement avec l’avènement du Renouveau mais surtout à partir de la loi no 90-46 du 19 décembre 1990 abrogeant l’ordonnance du 12 mars 1962. Malheureusement, pour nombre de personnes de ma génération, le Renouveau camerounais s’apparente, en termes de désillusion, à l’avènement de François Mitterrand au pouvoir en France en mai 1981. Alors que nous avions célébré la fin de la Françafrique avec l’élection du socialiste Mitterrand, nous avons plus que déchanté eu égard aux résultats. À la fin du double mandat de Mitterrand, tous les espoirs d’une nouvelle politique africaine de la France qu’avait incarné un certain Jean-Pierre Cot avaient été balayés et la Françafrique se portait mieux que jamais auparavant avec l’entrée en scène de Jean-Christophe Mitterrand, alias « Papa m’a dit ». Pareillement ; alors qu’on s’imaginait que le Renouveau camerounais était synonyme de l’avènement d’une société libre, démocratique, garantissant les droits et libertés individuels, on se retrouve presque quarante ans plus tard pris dans les serres d’une abjecte autocratie, corrompue jusqu’à la moelle.

Avant qu’on ne comprenne la supercherie que cela représentait, le livre-programme du Renouveau pouvait faire illusion et nous faire croire que la formation du Camerounais nouveau était en marche. Il y est notamment écrit :

Il s’agit de viser la promotion d’un homme camerounais libre, guidé par la raison, culturellement désaliéné et convaincu que l’homme n’est, véritablement homme que s’il est créatif. […]

Aussi faut-il qu’au sein de la société camerounaise la recherche de l’équilibre, le sens de la mesure, fassent l’objet d’un véritable culte non seulement pour chaque homme pris individuellement, mais également pour l’État et le corps social tout entier[2].   (2)

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Pareille proclamation pouvait faire croire que le nouveau régime allait mettre en œuvre une stratégie pour doter le jeune Camerounais et la jeune Camerounaise d’éléments lui permettant de véritablement s’affirmer comme un « désaliéné » et un « créatif » en cette aube du XXIè siècle et aux portes d’une mondialisation exigeante.

On se rendra malheureusement compte que le régime ne fera rien pour préparer sa jeunesse aux défis de l’heure. Hormis les places mises en jeu dans un secteur public étriqué et particulièrement improductif, hormis quelques recrutements par cooptation dans des réseaux plus ou moins mafieux (villages ou clans, sectes, partis politiques, etc.), la jeunesse camerounaise semble parfaitement désarmée face aux exigences du monde actuel. Raison pour laquelle, nombre de nos jeunes compatriotes semblent avoir un regard particulièrement dévalorisant sur eux-mêmes. Ils sont prêts à prendre le risque de traverser le Sahara à pied et la Méditerranée à la nage dans l’espoir d’atteindre un eldorado qu’on appelle l’Europe.

Il m’est arrivé il n’y a pas si longtemps d’emprunter un avion entre Istanbul et Douala/Yaoundé, avion qui transportait une vingtaine de rescapés de la Méditerranée à qui l’Office des Migrations Internationales avait délivré des sauf-conduit pour retourner au Cameroun depuis la Lybie via la Tunisie et la Turquie. Certes, ils étaient physiquement et psychologiquement diminués mais j’eus le privilège d’en apprendre pas mal sur leurs pérégrinations et leur état d’esprit pendant nos longues heures de vol entre Istanbul et Douala.

Ils me confirmèrent que leur aventure s’apparentait à un suicide car le système scolaire du pays était un cul de sac. Lorsqu’ils regardaient autour d’eux, les meilleures perspectives d’avenir étaient de finir leur vie comme vendeurs à la sauvette ou comme moto-taximen, au mieux. A la question de savoir pourquoi ils ne pouvaient pas militer politiquement pour un changement social, ils éclatèrent de rire et me répondirent que le système politique du pays était totalement verrouillé et les jeunes constamment instrumentalisés, sans perspective réelle. Bref, en conclusion, presque tous m’avouèrent qu’une lutte engagée à l’intérieur du pays les conduiraient à une mort certaine alors qu’en essayant d’émigrer on pouvait avoir une chance – infime certes – d’atteindre l’Europe et de vivre autre chose dans un monde où l’on dit que l’être humain, quel qu’il soit, a des droits.

Point n’est besoin de donner plus de détails sur cet échange. L’essentiel est de comprendre que le Camerounais ayant un regard aussi infériorisant sur lui-même peut difficilement aborder l’Autre avec assurance et entrer dans le monde global avec une identité affirmée. Sans doute nous accusera-t-on de jouer au donneur des leçons ; mais il est urgent, pour que l’accusation de maltraitance de nos compatriotes contre la Chine ou tout autre pays étranger ait un sens, que les dirigeants africains commencent par remettre en cause leurs différents systèmes de gouvernance. Dorénavant, ils devraient s’employer à construire des systèmes éducatifs qui valorisent la personne humaine en la dotant d’outils intellectuels pour faire face aux problèmes de survie dans son environnement. Seuls les Africains pourront libérer l’Afrique et reconstruire son image.

Autrement, l’on est en droit de penser que c’est nous qui prêtons le flanc au mépris ou aux violences dont nous sommes victimes ici ou là. Car, ne l’oublions jamais, en effet; notre rapport à l’Autre dépend souvent de la manière dont nous l’abordons, et qui est elle-même tributaire de ce que notre éducation a fait de nous. Depuis quelques années par exemple, les Africains en général et les Camerounais en particulier sont passés maîtres dans la fabrication de toute sorte de faux documents (académiques, financiers, documents d’état civil, etc.).

Les services consulaires des pays étrangers s’équipent chaque jour davantage pour se protéger de ces faussaires professionnels. Pour nombre d’entre nous, partir, quitter le pays est pour ainsi dire devenu l’unique projet de vie ainsi qu’on l’observe tout le temps. Aucune surprise que l’Africain qui frappe à la porte du consulat d’un pays qui compte soit, jusqu’à preuve du contraire, soupçonné de n’être qu’un tricheur. À qui la faute ?

 Ambroise Kom

Source: L’Estafette no 57 du 4 mai 2020, p. 2-3



[1] http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200413-coronavirus-la-chine-accus%C3%A9e-racisme-envers-les-africains-canton

[2] Paul Biya, Pour le libéralisme communautaire (1987), Lausanne, Favre, 2018, p. 109-111

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