Paul Biya ne s’est toujours pas exprimé à la télévision, un mois après l’annonce d’un premier cas : silence irresponsable voire dangereux pour les Camerounais

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Une parole rare et d’or pour les uns, un silence irresponsable voire dangereux pour les autres: au Cameroun, où le coronavirus progresse vite, le président Paul Biya ne s’est toujours pas exprimé à la télévision, un mois après l’annonce d’un premier cas.
Avec 509 personnes infectées, selon les autorités, et 8 morts, le Cameroun est samedi le deuxième pays le plus touché d’Afrique subsaharienne, derrière l’Afrique du Sud.

Un nouveau front s’ouvre donc pour ce pays d’Afrique centrale déjà meurtri par deux violents conflits.
Cette fois, pas contre les jihadistes de Boko Haram dans le Nord, ni contre les rebelles séparatistes anglophones dans l’Ouest. C’est une bataille menée par des médecins, avec en guise de munitions des masques et des appareils respiratoires qui font cruellement défaut.
En 37 ans au pouvoir, Paul Biya, qui a fêté ses 87 ans en février, a vu passer les crises, mais face à celle du coronavirus, qui touche la planète entière, son silence médiatique fait tache.
«Contrairement à la plupart des présidents dans le monde, le chef de l’État n’a pas prononcé de discours à la télévision», fait remarquer Stéphane Akoa, chercheur à la Fondation Paul Ango Ela.
Hormis une rencontre avec l’ambassadeur américain photographiée le 11 mars et un message écrit publié six jours plus tard sur Facebook dans lequel il enjoint aux Camerounais de «respecter» les mesures prises pour lutter contre l’épidémie, rien.
Si ses allocutions sont rares – trois ou quatre fois par an – «dans un contexte comme celui-ci, la parole présidentielle est importante», ajoute le chercheur.
Ce mutisme a affolé la toile la semaine dernière, des internautes affirmant même que le président était mort. Paul Biya «vaque normalement à ses occupations régaliennes», a rétorqué le ministre de la communication, René-Emmanuel Sadi, dans un «démenti formel».
Le silence du président fait également les choux gras de l’opposition. Maurice Kamto, son rival malheureux à la présidentielle de 2018, s’est engouffré dans la brèche.
Vendredi, l’opposant a demandé au président de s’adresser aux Camerounais d’ici 7 jours faute de quoi «le peuple (…) sera en devoir de constater sa défaillance». Le silence du président «n’est pas seulement irresponsable, il devient criminel», a-t-il lancé dans un communiqué.
Il «est honteux de vouloir utiliser le coronavirus comme munition politique», lui a répondu sur Twitter Grégoire Owona, l’un des responsables du parti présidentiel.
«Un atout de sagesse»
Pour les proches du président, ce silence n’est que le signe d’une réflexion mûrie: «Le temps du Président ne s’improvise pas et ne s’apprivoise pas», écrit dans la presse le directeur adjoint du cabinet civil du président, Oswald Baboke. «Sa retenue constitue un atout de sagesse.»
Sur le terrain de la communication gouvernementale, c’est le jeune ministre de la Santé, le Dr Malachie Manaouda, qui est en première ligne.
«Plusieurs fois par jour, sur Twitter, il rend compte de la situation, annonce le décompte des cas et rappelle les mesures prises par les autorités», détaille le politologue Stéphane Akoa.
Mais à mesure que les contaminations se multiplient, de 99 à 509 cas en moins d’une semaine, les critiques sur la gestion de la crise par les autorités augmentent.
«La communication gouvernementale est faible, sa réponse a été tardive, et à certains égards mal préparée», estime Stéphane M’Bafou, consultant camerounais en gestion publique et gouvernance.
«Manque de coordination»
«Il y a un manque évident de coordination dans la réponse contre la Covid-19», abonde Albert Ze, économiste camerounais de la santé.
Depuis l’annonce de mesures, comme la fermeture des frontières ou l’interdiction des rassemblements, par le premier ministre Joseph Dion Ngute le 13 mars, le gouvernement s’est contenté jeudi de les proroger.
«Je suis surprise qu’on nous parle de reconduire les 13 mesures sans monter d’un cran», s’indigne sur Twitter la députée de l’opposition Nourane Foster.
«Il nous faut rapidement décréter un couvre-feu, isoler les villes où des cas sont confirmés et aller vers un confinement général malgré le coût socio-économique», renchérit M. M’Bafou.
Le débat sur un confinement total, comme décidé en Afrique du Sud ou à Lagos au Nigeria, enfle dans le pays.
https://www.journaldemontreal.com/2020/04/04/au-cameroun-ou-le-coronavirus-progresse-vite-le-silence-du-president-biya-pose-question

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