L’HISTOIRE DES COALITIONS POLITIQUES AU CAMEROUN
Pour venir à bout des régimes politiques en place, surtout lorsque ces derniers, à l’aide de différentes sortes de tripatouillages et de subterfuges ont verrouillé le système électoral en le taillant à leur mesure, les partis d’opposition recourent souvent à différentes sortes de stratégies telles que les alliances, les regroupements, les fusions ou les coalitions. Depuis le retour au multipartisme en 1990 au Cameroun, les partis politiques n’y ont pas échappé, et ont essayé de former des coalitions avec plus ou moins de bonheur. Dans les lignes qui suivent, nous allons revisiter quelques tentatives de coalitions qu’ils ont essayé de mettre en place pour tenter d’accéder au pouvoir et gouverner. Nous commencerons d’abord par la définition des deux formes de coalitions les plus fréquentes : les électorales et les coalitions politiques.
Une coalition électorale est une entente momentanée d’au moins deux partis politiques qui en général possèdent un patrimoine d’idées communes, pour présenter une candidature commune à une élection, sur la base d’un programme commun, lors d’un scrutin de liste, ou pour se répartir des circonscriptions selon les implantations de chaque partenaire lors d’un scrutin uninominal.
Une coalition politique, quant à elle, est aussi un accord temporaire entre des partis politiques ou des organisations, mais en vue d’un programme de gouvernement commun. Il faut souligner que des coalitions sont constituées lorsqu’aucun parti ne détient ou ne peut détenir la majorité -dans au moins une des deux chambres dans un régime bicaméral comme au Cameroun) lui permettant de gouverner seul. C’est souvent le cas lorsqu’il y a un nombre exorbitant de partis en course ou quand le mode de scrutin ne permet pas de dégager une majorité solide, comme dans les scrutins à un seul tour. Les coalitions ont donc pour but d’éviter l’éparpillement des voix. Nous nous limiterons aux seules deux grandes tentatives des coalitions que le Cameroun a connues à ce jour : l’Union pour le changement (1990) et la Coalition Nationale pour la Réconciliation et la Reconstruction (CNRR) de 2004.
1) L’UNION POUR LE CHANGEMENT
L’Union pour le changement est née d’un regroupement issu de l’Alliance pour le Redressement du Cameroun par la Conférence Nationale Souveraine (ARC-CNS), coordination composée des partis, des associations et de fortes personnalités qui avait prévalu de mars à novembre 1991, mais qui éclate parce qu’une partie des organisations et particulièrement des partis membres de cette Coordination avaient décidé de prendre part à la Conférence Tripartite, succédané de la Conférence Nationale Souveraine qui s’était tenue un partout dans les pays francophones, mais que Paul Biya avait déclarée « sans objet » au Cameroun. Cette Coordination nationale fondait ses actions sur un vrai mouvement social :la désobéissance civile (villes mortes, Cameroun mort, pays mort) qui avait pris la forme d’une action d’un mouvement social quasi-insurrectionnel. Sept (7) provinces sur dix (10) étaient installées dans la contestation du pouvoir en place. C’est pourquoi, pour narguer l’opposition, M. Paul Biya prononça cette phrase restée célèbre :« Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit !». L’Union pour la Changement s’était formée pour soutenir la candidature de M. John Fru Ndi, le porte-flambeau du SDF à l’élection présidentielle du 11 octobre 1992.
Soulignons que les partis « les plus importants » qui avaient bravé le mot d’ordre de l’Union pour le Changement sous l’appât des 500 millions que M. Paul Biya avait brandis pour les convaincre de participer aux élections législatives de mars de la même année n’avaient pas non seulement soutenu la candidature du SDF, mais s’étaient présentés à leur propre compte. MM. Kodock (UPC K) et Dakole (MDR) avaient soutenu le RDPC. M. Adamou Ndam Njoya de l’UDC s’était présenté à son propre compte, ainsi que M. Bello Bouba Maigari, soutenu par M. Henri Hogbe Nlend (UPC H). C’est pourquoi certains pensent que la victoire de l’Union pour le changement n’était pas celle d’une coalition des partis politiques dans le vrai sens de ce terme, mais plutôt celle de la « coalition du peuple souverain » qui, fatigué des décennies de lavage de cerveau, de harcèlements, de brutalités, d’atteintes flagrantes aux droits de l’homme et des libertés fondamentales de la dictature des années Ahidjo, subitement pris d’admiration et de sympathie pour ce parti qui avait osé défier les barbaries de la soldatesque du régime pour naître dans le sang de six de ses militants, avaient décidé de le porter à bout de bras pour briser la muraille de l’inacceptable et se libérer des chaînes de sa captivité.
Au demeurant, en 1992, les premiers partis d’opposition venaient d’être formés et avaient à peine eu le temps de s’organiser et de s’implanter, surtout dans l’atmosphère de la terreur et de la répression qui régnait.
Au surplus, malgré tout ce qu’on peut croire, les militants d’un parti qui n’ont été ni concertés ni associés aux négociations, à qui on n’a pas expliqué les tenants et les aboutissants d’une coalition, ne se sentent en rien liés par les accords et les consignes de vote des leaders qui les ont engagés.
Pour réussir, une coalition électorale ou politique doit remplir des conditions essentielles telles qu’une bonne gestion des attentes des électeurs, attentes liées aux points-clés du programme de campagne qui a permis à chaque parti de recueillir les suffrages des électeurs ; un bon projet commun défini par le fruit du consensus, des solutions issues des tractations et des négociations complètes tenues dans des délais raisonnables et se concentrant sur les sujets-clés ainsi que les priorités ; la répartition claire des portefeuilles et des responsabilités : dans l’exécution du programme commun adopté, les portefeuilles et responsabilités doivent être, au préalable, clairement définis et correspondre aux compétences et projets-clés des partis coalisés ; une définition claire des limites ou lignes de démarcation à ne pas franchir : au cours des négociations, il y a des points du programme qui constituent des limites, des points clés, des positions de principe non négociables de chaque parti, car il faut éviter de conclure une coalition et d’en trahir l’esprit, une fois installé au pouvoir, par des ruses ou des actes de défiances répétés (1) .
Je ne sais pas si l’Union pour le changement avait suivi cette démarche. Si elle ne l’avait pas fait, il est difficile de la considérer comme une véritable coalition politique, car les dimensions transactionnelles, organisationnelles, contractuelles et stratégiques qui caractérisent les véritables coalitions lui ont cruellement fait défaut. Car après tout, c’est le SDF qui a traîné tout seul pendant longtemps le boulet de ce qu’on a appelé « la victoire volée ». Après ce résultat en demi-teinte, une autre expérience a été tentée à la veille de l’élection présidentielle d’octobre 2004.
2) LA COALITION NATIONALE POUR LA RECONCILIATION ET LA RECONSTRUCTION (CNRR) EN 2004.
Elle portait sur un programme de gouvernement transitoire de trois (03) ans, en cas de victoire. Y participaient : les représentants de l’UDC, du SDF, MM. Sanda Oumarou, Sindjoun Pokam, Hogbé Nlend (UPC), Issa Tchiroma, Antar Gassagay, Célestin Bedzigui…A posteriori, on se rend compte qu’il s’est agi d’une caricature de coalition, d’un véritable marché de dupes, car en dehors du SDF et de l’UDC, les participants pour la plupart n’avaient même pas de partis politiques et on comprend qu’ils y avaient été infiltrés avec une mission particulière à accomplir : noyauter la tentative de coalition.
Il s’agissait en fait d’un conglomérat d’individus hétéroclites qui n’avaient rien en commun et qui n’auraient jamais dû se retrouver ensemble pour une affaire aussi sérieuse. C’est ainsi que les Camerounais apprendront ahuris que M. Akame Mfoumou, l’un des militants du RDPC le plus zélé et pilier du régime en place avait été retenu comme candidat unique de l’opposition et que ce n’est que parce qu’il s’était ravisé au dernier moment pour refuser de signer les documents constatant son « élection » que M. Adamou Ndam Njoya avait été choisi au pied levé par les mêmes truands, un peu comme par pis-aller. Akame Mfoumou, déclarera d’ailleurs, pince sans rire, que les membres de la coalition venaient chaque jour le supplier d’accepter d’être le candidat unique de l’opposition et que chaque soir, il rendait compte à qui de droit. En d’autres termes, la coalition était dirigée à partir de la présidence(2) . C’est ainsi qu’elle éclata. Le SDF alla seul à la présidentielle et « récolta » 17, 5%. Ce qui restait de la Coalition s’en sortit avec un peu plus de 03%. A voir aujourd’hui les personnalités avec qui le SDF voulait conclure une affaire de confiance, on a la chair de poule !
Les tentatives de coalitions échouent presque toujours au Cameroun parce qu’elles sont des coalitions électorales, c’est-à-dire conçues pour accéder au pouvoir. Il se pose toujours le problème du leader qui en prendra la tête. Ailleurs, les coalitions se forment autour du parti qui a les meilleurs résultats électoraux du moment, c’est-à-dire sur la base de l’implantation concrète sur le terrain. Il est vrai que les résultats électoraux au Cameroun, sans cesse travestis par la machinerie de fraudes du parti au pouvoir sont toujours sujets à caution, mais on ne peut faire autrement. Bien qu’il soit unanimement reconnu que la notation scolaire n’est pas scientifique, on n’a encore rien trouvé de mieux pour l’évaluation des apprenants, l’attribution des diplômes et même les recrutements.
Le SDF est aujourd’hui convaincu que la meilleure coalition n’est pas celle des partis politiques dont les leaders s’engagent presque toujours sans consultation de leurs bases militantes (s’ils en ont !) dans le seul but du partage de portefeuilles, mais « la coalition du peuple souverain » composée de tous les citoyens, sans distinction aucune, qui ne sont pas contents de la manière dont ils sont traités et dont leur pays est gouverné, et qui s’inscrivent, attentent le jour des élections pour se lever comme un seul individu pour aller voter et sanctionner leur seul bourreau, la cause de leur misère et de leurs malheurs multiformes. Il est connu, il est au pouvoir, il n’est pas au sein de « l’opposition » !
Reférence:
1-Alain Cocauthrey : in « Des alliances et des coalitions politiques ».
2: Lire : Essama Essomba : « Edouard Akame Mfoumou : ma part de vérité (Cameroun Tribune N° 59085 du 20 sept 2004) ; Takougang Jean : « La candidature d’Akame Mfoumou, ou l’histoire insolite d’une coalition noyautée » (Mutations du 20 oct. 2004) ; Alain Blaise Batongué : « L’Affaire Akame Mfoumou : Récit d’une folle semaine où l’ancien Minefi a failli être propulsé à la tête de la Coalition pour défier Paul Biya ;