MANIFESTATION CONTRE LE PRÉSIDENT BIYA : LE POISON ET LE REMÈDE

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J’ai fait le monitoring des réseaux sociaux, regardé les journaux et débats télévisés ce weekend. Ce que je constate c’est que nos radicaux d’extrême-droite se sont convertis au salafisme et jettent l’anathème sur ceux qu’ils appellent les takfiris, s’arrogeant ainsi le droit de dire qui est patriote ou pas, et peut-être bientôt, qui le droit de vivre et qui doit mourir. J’ai, par exemple, appris que « le mot changement est un cache-sexe, un mot-valise derrière lequel les gens sont engagés dans la quête d’une dictature du reste des Camerounais par une autre communauté ». J’ai aussi entendu dire qu’ « une communauté a des velléités de s’emparer du pouvoir au Cameroun et ce, par tous les moyens. Et toutes les occasions sont bonnes pour que l’on trouve que « notre tour est arrivé […] Que les uns et les autres sachent que ceux qui sont en face ne sont pas dupes, ne sont pas des ignorants… ».

De tels propos irresponsables interviennent au moment où un conflit ayant commencé dans les mêmes conditions dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest endeuille de nombreuses familles camerounaises, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Ils interviennent surtout dans un contexte où la guerre, que nous menons depuis huit ans aux djihadistes de Boko Haram, s’enlise et un faisceau d’indices laisse penser que demain sera pire dans l’espace considéré.

Notre pays ne peut s’offrir le luxe d’une troisième crise socio-politique, du fait d’intellectuels qui ne savent
pas faire usage d’articles définis et d’articles indéfinis (Les Bamileké versus Des Bamileké). Au-delà de la question de la responsabilité, celle de la vérité. Au-delà des fantasmes et des prophéties autoréalisatrices, la réalité des faits c’est que les populations de l’Ouest ont voté à près de 49 % en faveur du président Biya lors de la présidentielle de 2018, contre 31 % pour son challenger, Maurice Kamto.

Même dans les Hauts Plateaux, département d’origine du Professeur, le président Biya a damé le pion à son suivant, 54% contre 40 %. Je ne veux pas commenter les résultats du Président dans la région du Sud du Cameroun. Indiscutablement et paradoxalement, « les gens qui sont engagés dans la quête d’une dictature du reste des camerounais par une autre communauté » ont fait le choix de voter pour le candidat d’une autre communauté.

Et quand bien même ces gens auraient des velléités de s’emparer du pouvoir, ils n’iraient pas le faire à Genève. En plus, au nom de quoi un des leurs serait privé du droit d’exercer le pouvoir au Cameroun ? L’histoire et François Burgat nous enseignent que « lorsque l’un des pieds de la table nationale s’autorise à être plus haut que les autres, ou si seulement l’un d’entre eux n’est pas autorisé à jouer son rôle dans l’espace collectif, c’est tout le vivre ensemble qui est compromis ».


Les discours abjects que l’on entend depuis samedi dernier sont liés au fait que des individus ont manifesté devant l’hôtel du président Biya à Genève. Au lieu de les attaquer pour ce qu’ils FONT, on les attaque pour ce qu’ils SONT. On est clairement à la frontière de la stigmatisation sectaire de l’Autre. De plus, cette démarche s’accompagne l’adoption de catégories dévalorisante, voire criminalisantes pour qualifier les appartenances de l’autre. Il s’agit d’un mécanisme classique de la division par l’opposition des appartenances primaires pour en tirer les dividendes politiques. C’est connu, pour tribaliser ou criminaliser une entreprise de contestation politique, on dissout les griefs et modes d’action dans leur supposée oppositions aux fondamentaux de la nation.

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Ceux qui connaissent mon tempérament savent que je ne ferai jamais l’apologie de la violence mais ce qui s’est passé à Genève relève de la banale contestation politique. Je trouve d’ailleurs que les effets médiatiques de ces manifestations dépassent les effets réels et que tous ceux qui attisent le feu de la haine tribale sont en fait des alliés objectifs de la Brigade Anti-Sardinards (BAS) dont ils assurent le service de presse. J’ai parlé de contestation. Pour parler un peu comme le Chancelier des ordres nationaux, contester vient du verbe latin testari auquel l’on a ajouté le préfixe cum. Étymologiquement, cela veut dire « témoigner avec force ». Chez nous, encore plus ces dernières années, ce qui aurait dû être perçu comme une modalité de l’action politique a acquis un sens péjoratif pour être perçu comme une attitude de dénigrement systématique des institutions, d’opposition forcenée aux autorités, de refus de ‘jouer le jeu démocratique’ etc. On bascule ainsi, au mieux, dans des logiques de criminalisation de la contestation politique ou, au pire dans l’État totalitaire qui fait de la politique la criminalisation de la guerre par les mêmes moyens, attitude qui découle de la désignation de l’ennemi intérieur qui, dans notre cas, est « cette communauté qui a des velléités de s’emparer du pouvoir au Cameroun ».


Le président Biya, dès sa prise de fonction a pourtant axé son action sur la démocratisation de la vie politique, entre autres. Dans son discours de politique générale lors du Congrès de Bamenda et de la naissance du RDPC, le 22 mars 1985, il avait affirmé : « il n’est plus nécessaire pour exprimer ses opinions, de prendre le maquis… ». Depuis quelques temps, des apparatchiks du régime, nostalgiques d’une époque révolue, trahissent allègrement cette belle vision présidentielle. Chacun peut s’en faire une idée. Je propose, comme grille d’analyse, la classification que fait le juriste suisse Laurent Extermann : les procédés de criminalisation de la contestation politique peuvent être classés en deux modalités. La première démarche consiste à transférer des actes dans une catégorie pénale, celle du crime. Il s’agit de la criminalisation au sens étroit. La seconde démarche consiste à interpréter la contestation politique comme une entreprise de subversion pouvant conduire à la destruction du système politique : c’est la criminalisation au sens large du terme.
Pourtant, la contestation politique est nécessaire à la vitalité d’une société. Sans elle, cette dernière se scléroserait et dépérirait. Un des intellectuels camerounais que j’admire le plus a d’ailleurs souligné, en 2009 déjà, que le blocage de notre société, son état stationnaire ou son inertie étaient le résultats de décennies de logiques de parti unique et des trois principes qui en découlent : le principe du chef ou principe hiérarchique, le principe de consensus ou de rassemblement ou encore de faible tolérance vis-à-vis du discours et de la dissidence, le principe d’équilibre ou d’association équitable des différentes composantes de la nation à la gestion des affaires publiques.
Il avait également souligné le fait que la « prétention à la sacralisation des chefs et de toutes leurs initiatives » était un des facteurs du blocage de notre société.
À titre personnel, je déplore ce qui s’est passé à Genève, pas parce que la fonction présidentielle est sacrée, mais parce que la victime se prénomme Paul, comme mon défunt père, qui aurait eu le même âge que le président Biya. Je refuse également d’adhérer au mode d’action de la BAS parce que cela ne fait pas partie de mon tempérament, mais aussi parce que je pense de tout cœur que les problèmes des camerounais doivent se régler au Cameroun. Pour cela, il faut qu’ils en aient l’occasion, la vraie. Le « Grand dialogue national », par exemple, aura été une sorte de masturbation dans laquelle des élites « préfabriquées » nous ont dit ce que nous voulions entendre. Dans le même ordre d’idées, il ne faut pas perdre de vue le fait que c’est des collaborateurs du président Biya qui ont fabriqué la BAS.

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En refusant d’établir un contact interactif efficace avec le corps médian, non pas ces « opposants » préfabriqués, on a favorisé la montée des extrémistes. Ces marginaux (de la marge), minoritaires au départ, se sont retrouvés au centre suivant un processus devenu classique : lorsqu’il ne se passe rien au centre, l’on assiste à la montée aux extrêmes. Des théories complotistes de tous genre ont conduit à une interdiction systématique des manifestations publiques au Cameroun.

Un faisceau d’indices laisse penser que cela a mois à voir avec l’existence d’une menace réelle que d’une volonté de capter des ressources dans un contexte de fébrilité lié à l’âge du président. Quand je vois les 40 personnes à la manifestation du Professeur Kamto le jour de la prestation de serment duPrésident Biya, et les foule qu’il s’est mis à rassembler plus tard, il y a lieu de se demander qui est l’allié de qui dans cette histoire. Il faut autoriser les manifestations politiques de l’opposition au Cameroun et délégitimer ainsi la BAS. Cela fera du bien à notre pays. Il faut bien sûr encadrer car à petite dose la contestation politique est un remède. A grande dose, elle est un poison. Cette situation a sans doute inspiré une plaisanterie suisse : « les gauchistes sont comme le sel dans la soupe : s’il n’y en a pas, elle est insipide ; s’il y en a trop, elle est imbuvable ».


Ce qui m’inquiète le plus dans les dynamiques en cours de criminalisation de la contestation politique et d’instrumentalisation des appartenances primaire, c’est qu’elles procèdent, en outre d’une forme de radicalisme. D’ailleurs, l’on fait généralement le parallèle entre la criminalisation politique et l’excommunication religieuse : l’on créé une forme d’orthodoxie en posant le dogme, puis on déclare hérétique ceux qui ne respectent pas l’esprit et la lettre du dogme.

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Ces derniers sontalors rejetés hors du templum et l’accès à certains droits leur est interdit : c’est l’excommunication.

La victime ne jouis plus, dès lors de la protection du groupe des fidèles. Tous les coups sont permis, voire encouragés contre lui. Ce n’est pas de moi, c’est de Extermann. Nos salafistes d’un nouveau genre mettent au ban de la nation, une partie du corps social dont une infime partie des membres n’adhère pas à la gouvernance en place. Comme avec le Takfir des salafistes de type Boko Haram ou Daech, les victimes ne bénéficient d’aucune protection légale et ont un « sans illicite ». C’est Kepel qui le dit.

Le travail auquel se livrent depuis quelques temps des intellectuels est au cœur de la fabrique de l’intolérance dans l’espace public, puis, fatalement dans les sphères privées. Ils construisent une vision bipolaire de la réalité et une binarisation des imaginaires qui vont accentuer les dynamiques, en cours, de polarisation communautariste. Pourtant, confinés que nous étions dans des frontières héritées de la colonisation, nous avions commencé à forger une unité, une identité administrative d’abord, politique ensuite.

La première génération d’hommes d’État, qui songeaient aux générations futures, contrairement aux hommes politiques d’aujourd’hui qui ne pensent qu’à la prochaine échéance électorale, (ça c’est de James Freeman Clarke), semblait pourtant avoir réussi créer quelque chose de commun entre des gens qui n’avaient pas grand-chose en commun, à « faire d’un tas un tout », pour parler un peu comme Régis Debray. Aujourd’hui, la nation camerounaise,
sauf à faire l’autruche, est devenue un chef d’œuvre en péril. Pour certains d’ailleurs, elle n’est plus
qu’un « projet politique passablement menacé », une sorte d’incantation politique, résultat d’un
consensus de façade qui cache trop de défauts et trop de contrefaçons.

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Les évènements de Genève nous donnent une autre occasion de discuter de ces défauts et contrefaçons. Il est indéniable que la plupart des manifestants de samedi dernier sont originaire de l’Ouest du Cameroun, comme ceux qui sont traduit devant le tribunal militaire pour des faits de « tentative de révolution, rébellion, attroupement aggravé et défaut de Carte nationale d’identité », à la suite des marches de septembre 2020. Au-delà des raisons historiques et anthropologiques que l’on peut mobiliser

pour expliquer cet état des choses, derrière le profil psychologique des manifestants se cache un symptôme de la crise de la nation camerounaise. La Nation n’est certes pas la tribu mais cette dernière la précède. Or face à toute crise, la tendance est au retour au primitif : « quand il y a un grand trauma, dit Debray, on revient à la tribu […] Ce qui résiste le plus c’est ce qui était là en premier ». La nation régresse à l’ethnie. Pour lutter contre le retour du tribal ou du familial, il faut réaffirmer le national, il faut une alliance entre le régalien et le plébéien. Lorsque les deux divorcent, il y a danger : la plèbe devient populace et le régalien devient autocratique.

Un analyste bien connu des Camerounais a fait, de mon point de vue, une analyse contestable mais intéressante à bien d’égards : « nous sommes ici devant la deuxième manifestation communautaire, contre l’État. La première étant la sécession anglophone. Chaque segment communautaire va manifester son hostilité à l’État avec ses moyens […] la BAS est Bamileké […] c’est la manifestation de la communauté Bamileké qui se sent très mal dans ce système […] les Anglophones ont pris les armes. Les Bamileké eux, ne peuvent pas prendre les armes. Mais ils ont aussi leurs moyens d’action. Vous attendez quoi ? Vous attendez peut-être que les Nordistes prennent les armes et descendent à Yaoundé pour commencer à comprendre que le système tel qu’il est ne marche plus ? ».

A méditer.
Que des intellectuels ne nous conduisent pas sur une fausse piste. Quand le tissu national est endolori, plutôt que d’y verser de l’acide ou du sel sur les plaies comme le font certains, l’on doit y appliquer du baume, des caresses. La composante du tissu national qui est mal à l’aise doit être confortée, réconfortée (ce n’est pas de moi ça, je ne me souviens pas de qui). Cela ne coûte pas grand-chose. En tout cas, la crise dans les régions anglophones du pays est là pour nous rappeler les effets de l’arrogance, du mépris et de la violence. Il me revient à l’esprit ces propos de Césaire
paraphrasés par Burgat : « chaque fois que notre monde […] ne permet pas à tel ou tel d’entre nous d’exister « à part entière », le risque est grand de le voir rejoindre les rangs de ceux qui vont vouloir vivre ‘’entièrement à part’’ ».
Bonne fête de l’Aïd-el-kébir

Source:Raoul Sumo Tayo

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