Christian Penda EKoka «Le GICAM, sous peine d’être irresponsable, ne saurait appeler partenaire un gouvernement qui serait devenu son bourreau.»

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‘’Le GICAM, sous peine d’être irresponsable, ne saurait appeler partenaire un gouvernement qui serait devenu son bourreau.’’

Le GICAM fête son soixantième anniversaire. C’est un bel âge qui devrait se célébrer, convenons-en. Encore que cela dépende des conditions dans lesquelles on y arrive : à genoux, couché ou debout. Dans l’impasse ou en ayant tracé des lignes d’horizon.

Tout en m’associant à cette célébration, je m’en voudrais de tomber dans l’auto-contentement, si coutumier chez nous et si dangereux pourtant. L’autosatisfaction est le pire ennemi de la remise en question, si nécessaire pour s’améliorer et rester compétitif. 60 ans dans la vie d’une organisation telle que le GICAM, c’est remarquable ! En même temps, c’est une étape, c’est un jalon qui doit engager une réflexion profonde pour faire le bilan, tracer des perspectives et ouvrir des horizons. Exigence d’autant impérative dans un monde rapidement changeant où les défis de toutes natures rendent la concurrence âpre entre les entreprises, les nations et les régions. D’un tel exercice dépend l’émergence ou la survie d’entreprises durablement compétitives. C’est dans cette optique que je situe mon intervention en cet anniversaire.

Teneur de nos messages aux séminaires du GICAM…

Pendant de nombreuses années où nous avons participé aux séminaires du GICAM, notre message, fondé sur les enseignements de l’expérience, était qu’un Etat viable avait besoin d’entreprises viables, et que des entreprises compétitives avaient également besoin d’un Etat viable. Notre souhait était de voir se développer entre ces deux parties une relation féconde de partenariat et de complémentarité, chacun des partenaires opérant dans sa zone d’efficacité maximale. Quel bilan faisons-nous de la situation actuelle de cette relation Etat-Entreprise.

A cet égard, nous affirmions que le Cameroun ne pourrait gagner le pari de l’accélération de sa croissance sans changer de paradigme et inverser cette tendance, notamment en aidant par des politiques appropriées à l’émergence d’un secteur privé compétitif, en y attirant un flux important d’investisseurs extérieurs, en favorisant l’éclosion et l’émancipation de véritables entrepreneurs locaux. C’est cette trajectoire qui permettra de maximiser le contenu local des investissements (e.g. emplois, sous-traitance et transferts de technologies), comme l’enseigne l’expérience de tous les pays qui ont accompli cette performance, notamment en Asie.

Ainsi, c’est grâce à l’innovation, à l’audace et au sens du risque des entrepreneurs que le pays participe à l’aventure humaine de création de richesses dans tous les domaines. L’entrepreneur est caractérisé par un état d’esprit d’explorateur, d’innovateur, de créateur ; il veut expérimenter de nouvelles solutions ; il n’est pas replié sur lui-même ; il a le sens du but et des opportunités ; il n’est pas figé, et n’a pas une mentalité de résignation et de défaitisme ou de fatalité ; il veut prendre du pouvoir sur le cours des choses ; il est très attaché à son indépendance, car seuls des esprits libres sont susceptibles d’entreprendre, et donc de changer le cours de la vie. Enfin, l’entreprise est un lieu de renforcement des capacités (apprentissage, acquisition de compétences), de solidarité, de partage d’émotions, un lieu de production de développement.

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GICAM, un mouvement au service de la cause de l’entreprise ou une corporation patronale…

Participant des prémisses précédentes, le GICAM nous apparaissait davantage un mouvement qu’un syndicat patronal. Les lignes ci-dessus pouvaient en définir l’ancrage idéologique.

Mouvement avant-gardiste au service de la cause de l’entreprise, le GICAM devait être capable de se projeter très loin dans l’avenir. Cela exigeait qu’il se libère – culturellement et anthropologiquement – des chaînes multiformes qui empêchent le progrès.

Cela exigeait également des gens d’affaires de sortir d’une logique rentière pour une logique de création, pour devenir de véritables capitaines d’industries.

Le GICAM devait être un mouvement fédérateur des énergies entrepreneuriales de la société, dans une dynamique de rassemblement. Bien plus qu’une agence événementielle, le GICAM devait être la base de lancement de l’entrepreneuriat. Il devait à cet égard rester exigent vis-à-vis de lui-même, de peur de se diluer dans le réductionnisme de notre environnement et de perdre ainsi sa quintessence.

Récriminations des entrepreneurs et servitude volontaire…

Moult fois j’ai eu des échanges avec des chefs d’entreprise qui se plaignaient des tracasseries, pour ne pas dire brimades, dont ils étaient tributaires de la part de l’administration. J’ai souvent répondu qu’ils étaient eux-mêmes la première cause de cette situation.

En effet, il y avait un évident paradoxe dans le fait que l’entreprise soit victime de l’Administration à laquelle elle versait des impôts, sans parler généralement de la création des richesses et des emplois à laquelle elle contribuait. Cela ressemblait à une victime qui donne le fouet à son bourreau…Mais ce comportement avait une explication dans l’état de servitude ou de soumission auquel les chefs d’entreprises s’étaient réduits en contrepartie des prébendes, des privilèges et autres rentes qu’ils attendaient de l’Etat.

Or, pourquoi les chefs d’entreprises ne savaient-ils pas se mettre ensemble dans le cadre de leur interprofession pour revendiquer des droits que l’Etat leur distillait comme des privilèges ?

GICAM et le Cameroon Business Forum (CBF)…

En 2006, dans le cadre d’un programme d’appui du groupe Banque mondiale (World Bank et International Finance Corporation), mon cabinet gagne le contrat relatif à la conception et à la mise en place du Cameroon Business Forum (CBF). Il s’agissait d’un mécanisme qui devait favoriser le dialogue entre les secteurs public et privé pour l’accélération des réformes susceptibles d’améliorer l’environnement des affaires au Cameroun. L’indicateur de performance en la matière était l’amélioration du classement du Cameroun dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale. Dix ans plus tard, il ne me semble pas que ce classement se soit considérablement amélioré, bien au contraire.

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Dans le cadre du diagnostic qui devait sous-tendre la conception et la mise en place du CBF, j’ai observé le jeu solitaire des chefs d’entreprises, chacun cherchait à obtenir son petit privilège de l’administration au détriment de la construction d’une force collective susceptible de permettre l’amélioration du rapport des forces dans leurs négociations avec le gouvernement.

Etat du Cameroun et état de l’entreprise

La compétitivité de l’entreprise camerounaise est étroitement liée aux performances de la gouvernance du Cameroun…Par exemple, une mauvaise gestion macroéconomique expose les ménages et les entreprises à différents impacts négatifs. Ainsi en est-il d’un déficit budgétaire dont le financement pourrait renchérir le coût du crédit, pousser l’inflation ou l’impôt à la hausse. Ainsi d’un déficit de la balance des paiements qui pourrait favoriser des mesures d’ajustement externe (augmentation des tarifs douaniers, restriction quantitative, dévaluation de la monnaie locale, etc.). Ainsi de l’insécurité juridique qui devient un facteur dissuasif majeur des investissements au Cameroun. Tous facteurs qui conduiraient à la compression de la demande et à la récession de l’économie.

Ainsi de la corruption de la bureaucratie qui renchérirait les coûts de transaction. Ainsi de l’insécurité juridique qui dissuaderait la venue des investissements étrangers au Cameroun. Ainsi d’une allocation inefficiente des ressources publiques – dettes et fonds propres – qui financeraient des éléphants blancs, entreprises et infrastructures improductives.

Le GICAM, sous peine d’être irresponsable, ne saurait appeler partenaire un gouvernement qui serait devenu son bourreau. Un partenaire ne saurait se transformer en un frein ou un fardeau, alors que sa vocation dans le partenariat était d’être un facilitateur ou un catalyseur.

Comment le GICAM ne verrait pas le lien de causalité entre la santé des entreprises et l’ordre politique ambiant? Ainsi des crises politiques qui aggravent la perception négative du risque-pays, avec pour effet l’assèchement des disponibilités de crédits et le renchérissement des concours disponibles.

Un questionnement qui amorce la réflexion…

A la lumière de ce qui précède, où en est le GICAM aujourd’hui ? La réponse à ce questionnement se déclinera à travers les réponses qui seront apportées à une série de questions, dont certaines sont esquissées ci-dessous.

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Quelle est la Vision du GICAM aujourd’hui (raison d’être, vocation, ambition)?

Quelles sont les Missions ou Finalités du GICAM (Missions qu’elle s’est données)? Ce que veut être et faire le GICAM ?

Quelles sont les attentes légitimement placées dans le GICAM par ses membres ?

Le GICAM a-t-il été performant dans l’accomplissement de sa vision ou de ses missions, ainsi que dans la réalisation des attentes de ses membres?

Quels sont les indicateurs qui permettent de mesurer cette performance ?

Le GICAM a-t-elle des Valeurs fondamentales (principes) qui sous-tendent son action?

Il pourrait être loisible de poser ces questions aux membres du GICAM, et de constater la divergence des réponses, chacun percevant le GICAM à partir de la lorgnette de son entreprise, non plus de celle du GICAM pris comme une entité interprofessionnelle visant à promouvoir un intérêt collectif. Cette divergence de vues met en évidence le déficit d’intelligence collective du rôle de cette organisation dans son paysage.

Comment peut-on définir la stratégie mise en œuvre par le GICAM dans l’optique de la concrétisation de sa Vision ou de celle de ses finalités ?

– une stratégie de think tank qui ferait ses propositions à un gouvernement sans que celui-ci ne soit tenu par une quelconque pression de les prendre en considération ?

– Une stratégie d’organisation non gouvernementale coopérant avec un gouvernement dans le cadre des orientations de celui-ci ?

– un Groupe de pression (lobbying) visant à exercer une influence déterminante sur les décisions gouvernementales en faveur de l’entreprise ?

Les activités et les ressources que déploie le GICAM sont-elles en cohérence avec ses missions ?

En résumé, le GICAM a-t-il stratégiquement subi ou orienter le cours des choses ? Est-il resté à la traîne du mouvement ou en a-t-il donné l’impulsion ?

Le GICAM apparaît-il comme une organisation proactive, anticipative ou plutôt passive ?

Le GICAM et son environnement…

De la même manière, la question pourrait se poser sur l’environnement du GICAM…

Le GICAM est entouré par un environnement externe qui comprend des acteurs et des tendances (événements) qui interagissent positivement ou négativement avec lui. Cet environnement comporte des opportunités à saisir par le GICAM, et des menaces à neutraliser ou à éviter, par rapport à l’accomplissement de ses missions

Dans le même ordre, des événements ou phénomènes émergeants – aux plans politique, social, sociologique, économique, technologique, culturel, etc. – peuvent devenir des tendances déterminantes pour l’avenir du GICAM.

A cet effet, son environnement externe comprend des acteurs tels que, par exemple, ses membres, le marché, le gouvernement, les entités publiques, les usagers et les des entreprises membres ou non, les groupes de lobbying, les associations de consommateurs, différents courants d’opinion.

Dans un tel contexte, un facteur déterminant du succès du GICAM repose sur sa claire compréhension du sens de ces évolutions pour son action, en termes d’enjeux à saisir ou de défis à surmonter, des activités à déployer pour ce faire et des ressources à mobiliser.

Conclusion

Ce papier est conçu en guise de « teasing » pour exhorter le GICAM à engager cet exercice d’intelligence collective à l’occasion de ses 60 ans. Dans une claire compréhension des opportunités et des menaces résultant de son environnement national et international, de l’évaluation de son potentiel – en termes de ses forces et de ses faiblesses -, le GICAM devra maintenir ou redéfinir ses finalités, identifier les activités et les ressources pour les réaliser, définir les meilleures stratégies et la meilleure organisation pour les mettre en œuvre, dégager un plan d’action et une feuille de route pour les prochaines années. Alors bons vents !

Christian Penda Ekoka (BDS Consulting)

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